Quel fut à mon avis l’un des livres les plus intéressants de 2010 ? Assurément L’argent et les mots d’André Schiffrin. L’auteur y poursuit sa réflexion éclairée amorcée il y a dix ans sur la diffusion de la culture, la gouvernance et les idées. Il nous fait comprendre ce qui distingue par exemple une librairie avec un bon fonds d’une boutique de livres généraliste. Par ailleurs, sa critique de la publicité est mordante et subtile : « […] la publicité, loin de garantir la liberté des contenus, est en fait un impôt privé que les consommateurs payent indirectement […] ; nous payons pour la publicité chaque fois que nous achetons un produit ».
L’éditeur américain André Schiffrin est assurément l’observateur le plus perspicace de la manière dont les idées et les livres sont diffusés dans l’espace public. L’auteur, qui fut longtemps éditeur indépendant pour Pantheon Books et The New Press, examine successivement comment circulent les livres, les films, les journaux, les idées nouvelles, et s’inquiète de la concentration des médias, et des sources d’information, en fait de moins en moins diversifiées, pouvant diffuser la culture sous toutes ses formes. Il conclut par des propos inquiets sur Google et sur le livre électronique vendu par le géant Amazon, qui changeront significativement notre manière d’avoir accès à la culture en général et à notre culture nationale en particulier.
Un livre intelligent ne se distingue pas seulement par son propos, mais surtout par l’angle d’analyse que son auteur utilise pour cerner son sujet. Pour André Schiffrin, on tue la culture à trop vouloir la rentabiliser ; on ne peut pas vivre que de best-sellers. Mais l’auteur ne fait pas que dénoncer la surexploitation de certaines œuvres populaires (comme Harry Potter, souvent vendu à perte dans les grandes surfaces) au détriment de celles laissées dans l’ombre mais non moins importantes ; il décrit des modèles étatiques exemplaires de diffusion de la culture, notamment la France et surtout la Norvège, où les salles de cinéma appartiennent majoritairement aux municipalités, ce qui maintient un impératif culturel et éducatif. Tout un chapitre porte spécifiquement sur la vivacité des petits éditeurs, qui donnent une véritable couleur au monde des livres, qui demeure trop souvent hanté par l’obsession de la rentabilité.
Sans en avoir le nom, L’argent et les mots est comme un rapport ou un bilan des politiques culturelles qui compare les expériences, et les échecs, survenus aux États-Unis, en Europe et ailleurs.