Après L’éthologie (2017), L’éthique animale (2018) et Le véganisme (2019), il était logique que l’universelle collection « Que sais-je? » ponde un précis sur l’antispécisme.C’est Valéry Giroux, qui avait d’ailleurs cosigné le titre de 2019, qui initiera le lecteur à cette tendance à la fois nouvelle (« Les termes ‘spécisme’ et ‘antispécisme’ étaient totalement inconnus du grand public jusqu’au milieu des années 2010 ») et ancienne (« Il y a près de vingt-six siècles, en effet, Empédocle […] fustigeait déjà les mangeurs de viande »). La Québécoise, soit dit en passant, ne cache pas son parti pris : « […] la majorité des réflexions portant sur ce thème sont menées d’un point de vue critique, d’un point de vue antispéciste. L’autrice de ce livre n’échappe pas à cette règle ».Qu’est-ce que l’antispécisme ? C’est volontairement que le terme est calqué sur les mots « sexisme » et « racisme ». Les antispécistes cherchent en effet à abolir, après la discrimination basée sur le sexe ou sur la race, la discrimination basée sur l’espèce. En d’autres termes, les animaux doivent être traités comme nos égaux.Concrètement, il s’agira bien sûr de supprimer toute consommation de viande, mais aussi d’œufs et de lait, ainsi que d’interdire tout produit d’origine animale tel que la laine ou le cuir. Exit en outre tout ce qui fait souffrir nos amies les bêtes, tels les zoos, cirques, corridas ou expériences de laboratoire.En trois chapitres soigneusement structurés, l’autrice nous présente dans un premier temps les concepts fondamentaux, à commencer par la « sentience », soit le fait que les animaux ont des sensations et des émotions comme les humains, ce qui est la raison fondamentale pour laquelle on devrait leur accorder des droits. La notion d’espèce, aussi, est savamment remise en cause par l’exploration darwinienne des contours flous de la notion. Dans un deuxième temps, les différents types d’antispécisme (radical, modéré, attributif…) sont définis, puis une dizaine de pages sera réservée aux « objections à l’antispécisme », toutes battues en brèche. Quant à l’idée que l’humain serait supérieur aux autres animaux, on souligne que rien n’est moins évident dans les cas où l’humain en question est un bébé, un vieillard impotent ou un déficient intellectuel.Si les deux premiers chapitres sont stimulants et instructifs, le troisième est sans doute le plus intéressant, car il nous porte à l’avant-garde du mouvement en posant des problèmes qui ne sont toujours pas résolus – ou en tout cas, pas de façon unanime. Par exemple, que faire avec les vaches et les poules, qui seront rendues à leur liberté mais ne peuvent survivre dans la nature ? Certains prétendent qu’il faudra laisser ces espèces s’éteindre, d’autres qu’il faudra partager nos espaces urbains avec elles, espaces qu’on devra bien sûr adapter en conséquence, comme on le fait pour les handicapés. Beaucoup s’interrogent aussi plus généralement sur la responsabilité de l’humain envers la souffrance animale, même non causée par lui, en vertu du principe d’assistance à personne en danger – car les animaux, dans le monde antispéciste, seront juridiquement des « personnes physiques ». Ainsi, faudra-t-il protéger les gazelles contre les lions ? Certes, affirment des tenants de la cause, ce qui suppose bien sûr qu’on devra du même coup éviter la famine aux félins en les nourrissant de « protéines végétales », voire en les modifiant génétiquement « de manière à le[s] débarrasser de [leur] besoin biologique de consommer de la chair animale ». D’aucuns poussent la réflexion sur la souffrance jusqu’à conclure, comme Estiva Reus dans le titre d’un ouvrage publié en 2018, qu’il faudrait Éliminer les animaux pour leur bien.De manière générale, la relation avec la faune sauvage pose toutes sortes de questions, la première étant de savoir si l’être humain cause plus de tort que de bien en se mêlant de la vie de ses voisins, même avec bienveillance. D’où la conclusion : « La meilleure manière de les appréhender politiquement serait de les considérer comme des membres de nations souveraines […]. Il s’agirait notamment de […] respecter leur autonomie en leur octroyant le droit à l’autodétermination ».Dans son exposé richement documenté, Valéry Giroux prend soin de faire les distinguos qui s’imposent : les antispécistes, tout en préconisant de traiter les animaux non humains à l’égal de l’humain, ne prétendent pas étendre ce droit à tous les êtres du règne animal, mais seulement à ceux qui sont « sentients », c’est-à-dire capables d’éprouver la peur, le plaisir, la douleur, la joie, etc. Cela exclut sans doute les invertébrés, quoique la science puisse encore nous réserver des découvertes. « Certains céphalopodes seraient conscients […], mais le cas des insectes, des crustacés et des bivalves est moins clair. » De même, l’autrice reconnaît sans ambages qu’une truite n’a que faire de la liberté de conscience.
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