Toujours empreints d’immédiateté, les premiers poèmes de Roland Giguère relèvent d’un surréalisme modéré, où la préséance de l’imagination laisse place à un accueil des choses concrètes. Bien qu’on puisse y lire une critique de l’époque duplessiste, c’est avant tout d’un combat de l’homme contre lui-même et contre l’inhumain dont il est question. Dans cette lutte semée d’obscurité, la figure de l’amoureuse sauvegarde et aiguille la navigation poétique : « [N]ous appartenons à tous les futurs / puisque ta réalité est possible / puisque tu es réelle / au cœur des neiges éternelles / je laisse mon dernier regard / à l’orée de ta beauté », écrit Giguère à propos de l’« Adorable femme des neiges ».
L’âge de la parole, paru à l’Hexagone en 1965, n’est pas une simple rétrospective. Recueil de recueils, le volume a résulté d’un tri parmi les multiples livres d’artiste publiés à compte d’auteur chez Erta. Ce fut aussi l’occasion pour le poète de rejoindre un plus vaste public, ce qui se prolongera dans deux autres rétrospectives, La main au feu puis Forêt vierge folle.
« Enchanteur pourrissant » à la façon d’Apollinaire, Roland Giguère transcrit une sorte de misère illuminée, où l’angoisse traverse le libre jeu des mots, s’opposant à la recherche d’innocence et de naïveté maintes fois énoncée. « [E]t après des années de ruine de bris et d’oubli / apparaissait à la surface d’un étang / parmi tant de cadavres / un ovale blanc un visage d’enfant // comme un cerceau retrouvé. » Suivant ses traces, le lecteur ira à la dangereuse recherche de lui-même et voudra regagner cet âge oublié de la parole.