Faiseur d’images, Salvador Portal a entre autres pour tâche d’embellir la réalité, de présenter le beau côté des choses et de redresser les réputations : le petit-fils de feu Rafael Portal et de Vera, sa grand-mère qu’il vénère, occupe ses journées à fabriquer des personnalités. Trotskiste aux belles heures de sa jeunesse, il a échangé ses hauts idéaux pour un loft près de la Bastille, un salaire confortable, de copieux repas dans les meilleurs restaurants de Paris, et j’en passe. Puis vient le jour où il a à redorer l’image de deux héritiers d’un des « derniers fleurons de l’industrie française » qu’un financement par des groupes étrangers met dans l’obligation de sacrifier des travailleurs pour pouvoir payer des dividendes. L’annonce simultanée des bénéfices enregistrés par leur groupe et d’un licenciement massif d’ouvriers n’était, somme toute, pas une bonne idée. Mais Salvador en a vu d’autres !
Le récit, superbement écrit, alterne entre l’histoire des Bernottin, qui se résignent à faire appel aux services d’une boîte de communication pour refaire leur image, et celle des grands-parents de Salvador, fidèles de Miguel de Unamuno. Le récit de la vie de Rafael Portal, le grand-père « légende », la rencontre puis le suicide de Gonzalo, père de Salvador, et la santé déclinante de Vera, sa grand-mère adorée, finiront par ouvrir une brèche dans la vie bien réglée du jeune cadre à qui tout réussit. « L’un après l’autre les mensonges qui me recouvraient la peau tombaient, me laissant plus vulnérable et plus fort à la fois. Mensonges qui tissaient ma vie, mensonges que je fabriquais, mensonges qui avaient fini par se confondre avec mon être. Une vie fausse, un habit d’arlequin fait de pièces disparates. »
À 74 ans, Michel del Castillo nous livre l’un de ses plus beaux romans, empreint comme tous les autres d’une sensibilité qui ajoute à l’intelligence du propos.