Nombreux sont les penseurs qui se sont penchés sur le phénomène du postmodernisme : Gilles Lipovetsky, Alain Touraine et Jean-François Lyotard, pour ne nommer que ceux-là, ont proposé une lecture de la transformation des sociétés occidentales contemporaines, dites postmodernes, chacun selon un angle différent. Céline Lafontaine, sociologue, s’est lancée dans cet univers en prenant comme objet d’analyse la mort, ou plutôt, la disparition de la mort des horizons symbolique, culturel et social. Au fil des pages, l’auteure, professeure à l’Université de Montréal, dresse un portrait sociologique du monde contemporain à partir du double processus de déconstruction scientifique et de désymbolisation de la mort.
Dans un premier temps, la sociologue décortique la relation à la mort et au mourant qu’entretiennent les sociétés occidentales. Elle démontre que le mourant, en passant de la chambre à coucher à la chambre d’hôpital, s’est retrouvé isolé, et donc ignoré par ses pairs, cette séparation accentuant l’effritement des liens sociaux. Ce faisant, les acteurs qui entourent le mourant ont eux aussi changé, le curé ayant cédé sa place au médecin. Le changement n’est pas aussi anodin qu’il pourrait le paraître, car les deux personnages cultivent une relation diamétralement opposée avec la mort. Tandis que le premier, qui entretient un lien transcendantal avec la mort, voit cette étape comme un passage obligé et fondateur tant pour l’humain que pour la société qui l’entoure, le second la voit principalement comme un échec.
Puis, second temps de son ouvrage, la sociologue se penche sur les conséquences socio-historiques du déni collectif contemporain par rapport à la mort. Car le changement de la perception de la mort, devenue aujourd’hui « socialement insensée », comporte de lourdes conséquences, surtout en ce qui a trait à l’expression de l’individualité et au désir d’immortalité.
Céline Lafontaine, lauréate du prix Jeune sociologue 2004 de l’Association internationale des sociologues de langue française pour son précédent ouvrage, L’empire cybernétique (Seuil, 2004), signe un essai complet et saisissant sur la perception de la mort. Une superbe synthèse qui souligne les contradictions qu’entretient la société postmoderne avec le concept de la finitude de l’humain.