Peu importe le type d’entreprise, de la PME à la multinationale, les concepts de gestion et de productivité sont devenus les nouveaux leitmotivs. Et ça ne s’arrête pas là. La frénésie de la gestion est en train de gagner tranquillement l’inconscient collectif, au point où de nombreux spécialistes parlent maintenant de gérer le stress, le couple et même la sexualité. Vincent de Gaulejac, professeur et chercheur à l’Université Paris-VII, s’est penché sur ce nouveau phénomène dans un essai au titre éloquent : La société malade de la gestion.
Élaborée en deux parties, la réflexion du chercheur français démystifie d’abord l’application de la gestion au sein de l’entreprise. Le constat qu’il en fait est loin d’être reluisant. Selon lui, cette doctrine pousse les compagnies à devenir des « machines à faire du profit » et tous les moyens sont bons pour atteindre la rentabilité : licenciements massifs (qui, dans bien des cas, font grimper les actions en bourse), exploitation à outrance des ressources naturelles, etc. Quant à l’être humain, il est relégué au simple rang de « ressource », d’agent actif du mode productif. L’auteur aborde ensuite la question de la gestion dans la sphère privée. Comme dans sa vie professionnelle, l’individu est assoiffé de performances et de résultats et ce sont bien souvent les enfants, dans un contexte où la famille est désormais perçue comme une « business », qui en paient le prix : « Si l’enfant ne réussit pas, s’il n’est pas bien dans sa peau, si ses résultats [scolaires] sont mauvais, c’est le bilan de l’entreprise familiale qui est négatif. Ils sont condamnés à réussir pour éviter la faillite ».
Loin de décrier le capitalisme dans sa forme initiale, le chercheur s’attaque surtout à sa pratique sauvage, quand tout repose sur les résultats et le rendement effréné, au détriment de travailleurs qui doivent se plier à des exigences de plus en plus irréalisables. Quant à l’être humain, prisonnier de la performance, il cherche sans cesse des façons de dominer son existence par peur de l’échec. Sommes-nous réellement devenus des esclaves de la gestion au point où elle nous contrôle et nous rend malades ?