Le 8 octobre 1908, Adolf Hitler est recalé à École des Beaux-Arts de Vienne. La suite est inscrite dans l’Histoire du XXe siècle. Que serait-il arrivé s’il avait été accepté dans les rangs de cette école ? S’il avait rencontré Sigmund Freud en 1909 ‘ les deux vivaient à Vienne à l’époque ‘ et que celui-ci l’avait aidé à résoudre son Sdipe ? C’est l’histoire racontée par Eric-Emmanuel Schmitt. Pas évident a priori mais finalement très réussi. Le roman est bâti autour du récit en parallèle des deux vies, celle qui appartenait à l’Histoire, la vie d’Adolf Hitler, et l’autre, imaginée, d’Adolf H., son alter ego à visage humain. Freud dans le roman se demande ce qu’il aurait pu advenir d’Adolf H. s’il ne l’avait pas guéri de sa névrose. Serait-il devenu un criminel ?
On suit la vie des deux Adolf dans la Vienne de l’avant-première guerre mondiale. C’est l’époque où Hitler vit d’expédients dans une société qui se délite et où sévit la crise économique, alors qu’Adolf H. étudie aux Beaux-arts. Vient la Guerre de 1914 qui est pour Adolf H. un intermède d’horreur vécu dans un régiment où la seule consolation est la présence à ses côtés d’amis peintres de l’École. L’expérience est fort différente pour Hitler qui y découvre le sens de sa vie, servir la Grandeur de l’Allemagne. Déjà il est déconnecté de l’humanité et son supérieur se demandera en le regardant : « Comment peut-on commander les hommes si l’on n’appartient pas soi-même à l’humanité ? »
C’est après la guerre, qu’Adolf Hitler découvre la haine du juif. Cette haine est un puissant catalyseur qui fera de lui le dictateur que nous connaissons. « Il avait exprimé son horreur des Juifs et sa soif de vengeance après cette défaite humiliante. Aujourd’hui, il était enfin devenu l’homme qu’il pensait être. La haine lui avait donné le don de l’éloquence. »
Schmitt atteint sa cible quand il établit les parallèles entre les deux Adolf. « Ils ignoraient qu’ils n’avaient pas désigné un homme politique, mais un artiste. C’est-à-dire son exact contraire. Un artiste ne se plie pas à la réalité, il l’invente. C’est parce que l’artiste déteste la réalité que, par dépit, il la crée. D’ordinaire, les artistes n’accèdent pas au pouvoir : ils se sont réalisés avant, se réconciliant avec l’imaginaire et le réel dans leurs œuvres. Hitler, lui, accédait au pouvoir parce qu’il était un artiste raté. »
Et c’est là que le propos est le plus troublant parce qu’Adolf H. n’est nullement un monstre, c’est un homme de qualités moyennes essayant de vivre une vie décente. Adolf Hitler est la même personne, la même personne ayant dérapé et n’ayant jamais pu ou su s’accrocher au tissu de l’humanité. « Ce ne sont pas leurs idées qui tuent, mais le rapport qu’ils entretiennent avec leurs idées : la certitude. »