Les romanciers pouvant passer du subjonctif imparfait au joual ou citer Schopenhauer et Hannah Montana dans la même page sont des oiseaux rares. François Blais est de ceux-là. Il pratique ce qu’il appelle le « métissage de tons », et il le fait avec intelligence et brio.
Contrairement à ce que suggère le titre, La nuit des morts-vivants n’a rien (ou presque rien) à voir avec les zombies. Du moins, ceux de Romero, le réalisateur du film-culte dont Blais a repris le titre. Il est plutôt question, çà et là, des zombies de Lucio Fulci, cette icône du cinéma gore italien, mais à titre anecdotique. Les véritables morts-vivants dont il est question ici n’ont rien de surnaturel. Ce sont deux noctambules mi-trentenaires, résidants de Grand-Mère et narrateurs de ce truculent récit.
Ils se nomment Pavel et Molie. Ils font à tour de rôle la chronique de leur quotidien. Le premier est employé de nuit chez Maintenance des Chutes. Il nettoie les planchers de grands magasins. Célibataire sans réseau social, il a choisi de vivre de nuit même pendant les week-ends. Molie, pour sa part, pratique la fainéantise à plein temps. Assistée sociale, elle passe ses journées encabanée, préférant sortir à la nuit tombée. Comme narratrice, elle imite Molly Bloom, l’héroïne d’Ulysse, et sa technique du monologue intérieur. Elle a les mêmes goûts et les mêmes opinions que Pavel, notamment en matière de films d’horreur. Bien qu’ils soient visiblement faits l’un pour l’autre, ces deux déclassés suivent des voies parallèles : dans la même direction mais sans se croiser.
Le fil événementiel est mince dans La nuit des morts-vivants. Il ne s’y passe presque rien : le bâtiment d’un ancien disquaire a brûlé ; Pavel sirote deux pintes de bière en admirant Zoé la barmaid ; une polémique éclate pour déterminer si le Jägermeister goûte l’anis ou le clou de girofle ; un get together informel réunit d’anciens finissants de la polyvalente du Rocher. Voilà le type d’événements que rapporte ce livre. Le fil référentiel, en revanche, est beaucoup plus dense. De Goldorak à la console de jeu Sega, de George Eliot à Natsume Sseki, de la micro-brasserie Le Trou du Diable au restaurant Stratos, de Facebook à l’enlèvement de la petite Cédrika, François Blais a écrit un roman résolument rivé sur son époque, dont il a su dégager l’improbable poésie. La monotonie n’a jamais été aussi trépidante.