On dit d’Arnaldur Indridason qu’il est peut-être le plus moraliste des auteurs de romans noirs contemporains. La muraille de lave confirme cette réputation. En effet, dans ce huitième roman à paraître en français – et disons-le tout de suite, l’un de ses meilleurs –, l’auteur islandais traite des dérives où peuvent conduire le libertinage, l’ambition politique et la soif de richesse.
L’inspecteur Erlendur, personnage central des précédents ouvrages d’Indridason, étant parti en vacances, c’est son adjoint, le pâle Sigurdur Oli, qui mène le jeu cette fois-ci. À première vue, ce dernier n’a pas la complexité torturée (et séduisante) de son supérieur mais, à le découvrir dans ses rapports douloureux avec son ex-épouse, dans ses relations ambiguës avec ses collègues et ses parents, avec sa mère en particulier, il acquiert un relief qui nous le rend tout aussi attachant que le sombre Erlendur.
Un ami lui demande un jour de faire pression sur un couple échangiste qui menace de publier des photos compromettantes d’un membre de sa famille, parce que celles-ci ruineraient les ambitions politiques de sa femme. Par amitié pour lui, Sigurdur accepte d’intervenir discrètement pour forcer les maîtres-chanteurs à renoncer à leur projet, quitte à faire une entorse au code d’éthique de la police. Il se présente donc à leur domicile et découvre la femme du couple gisant sur le plancher d’un appartement sens dessus dessous. Tentative d’intimidation qui aurait mal tourné ? Cambriolage raté ? Règlement de compte ?
Les hypothèses se multiplient encore quand Sigurdur Oli apprend que la victime avait eu vent, quelque temps auparavant, d’un audacieux plan de blanchiment d’argent ourdi par un groupe de banquiers islandais. Plus troublant encore, l’un de ces banquiers est mystérieusement disparu au cours d’une excursion dans le nord du pays. À cet écheveau d’intrigues, Indridason mêle le récit touchant de la vie d’Andres, un alcoolique presque clochardisé, dont il raconte l’enfance tragique, victime de la négligence d’une mère alcoolique et des sévices sexuels d’un beau-père violent.
La muraille de lave dont il est question dans le titre renvoie aux imposantes falaises qui bordent le littoral islandais, mais également au surnom dont les habitants de Reykjavík ont affublé le siège social d’une puissante institution bancaire locale. On pourrait aussi y voir une image du destin qui brise les êtres cédant avec trop d’empressement à leurs désirs et à leurs ambitions, comme ces embarcations téméraires prises dans le tumulte des courants qui s’agitent au pied des escarpements marins.