Il suffit de plonger son regard dans la profondeur des eaux pour y retrouver l’épaisseur du temps. Ce qu’on y découvre n’est déjà plus qu’une mémoire passée au prisme des eaux : visages déformés, gestes noyés, paroles troubles. C’est un peu l’entreprise tentée par Dominic Langlois à travers ce recueil.
On entre d’abord dans l’espace intime d’une enfance encore chargée de larmes retenues et qui fuit, goutte à goutte, infligeant son supplice à celui à qui la mémoire revient peu à peu. Avec ce passé qui émerge par bribes nous parvient une seconde voix qui interrompt à certaines occasions le poème, souvent dans un langage très cru. Cette voix, difficile à cerner, autoritaire et dure, pourrait être celle de la mère : elle se pose comme un obstacle entre cet espace étouffé de l’enfance, avec son cadre religieux et ses regrets refoulés, et cet autre espace plus ouvert qu’est la rue, qui appelle le narrateur à rejoindre les eaux troubles où il pourrait se libérer.
La rue s’avère un espace « entre chien et loup », un lieu de rencontre où le péril le plus probable est celui de s’égarer, de perdre ses repères : le clocher y est sans cesse menacé par les vagues, les cales des navires sont « vide[s] de sens » et « les marins ont perdu le cap ». Dans la dernière section, intitulée « Attente », la mer vient à la rencontre de la ville, l’envahit d’un brouillard qui, en se dissipant, délie les nœuds du poète et le libère de son incapacité à dire. Le cri de sa solitude, ce cri « de la clôture en métal », devient dès lors un chant qui s’avance à la rencontre de la mer et qui le réconcilie d’une certaine façon avec ses origines de même qu’avec sa propre mère, car le recueil se termine sur ces mots qui semblent s’adresser à elle : « [J]e suis la mer / au bout de tes lèvres // un silence / tissé de tes eaux ».
Ce recueil, dans son ensemble, possède une très forte unité thématique. Cependant, cela peut aussi constituer une faiblesse, car les images sont, à quelques rares occasions, un peu attendues. Par ailleurs, le propos général de l’œuvre, dans l’ensemble d’une belle profondeur et d’une grande sincérité, aurait pu s’éloigner davantage de son aspect parfois anecdotique pour avoir une portée symbolique plus universelle.