Ce livre de Marcel Conche, réédité pour la première fois depuis sa publication originale en 1973, s’applique à éclaircir le rapport de la mort à la pensée. Le philosophe part du constat initial que l’être humain pense sa vie en fonction du fait qu’elle prendra fin, donc, en fonction de la mort. Pourtant, puisque la pensée, à notre époque, tend à reconnaître dans la mort un objet pénible, une séparation se produit qui les écarte l’une de l’autre afin de préserver le sentiment (ou l’illusion ?) de bonheur. Une telle conception est au fond bien étrange, estime Conche, qui dégage certaines « idées admises » sur la mort pour faire apparaître le lien originaire entre celle-ci et la pensée, et dégager un principe – le principe tragique – permettant de dépasser la sécheresse des abstractions pour donner une forme concrète à la pensée.
La mort et la pensée s’adresse en premier lieu à un lectorat féru de philosophie. Le deuxième chapitre, « L’abstraction et la mort », le plus dense du livre, analyse l’opération de la pensée à partir des idées de Platon et d’Aristote, et à l’aide d’un rapprochement entre notre monde et celui des Hellènes. Les développements de Conche sur les notions de « monde », de « possibilité » ou d’« infini » peuvent dérouter le néophyte. Mais fort heureusement, l’auteur n’emploie guère de jargon et manifeste une volonté évidente d’entraîner « l’homme ordinaire » dans la ronde méditative, ce qui rend son livre plus accessible qu’il ne paraît. Le premier chapitre, « La pensée sous l’horizon de la mort », est peut-être le plus réussi : les considérations qui s’y trouvent sur ce que nous connaissons et ce que nous ne connaissons pas de la mort suffisent à ranger l’essai de Conche aux côtés des textes de Vladimir Jankélévitch, Philippe Ariès et Michel Vovelle notamment, ces grands ouvrages phares sur la question de la mort dans le champ des sciences humaines. La « Préface » datée de 2006 permet au volume de s’ouvrir sur un ton plus intimiste : Marcel Conche y réfléchit rétrospectivement sur son essai, publié (sans qu’il s’en soit douté) à l’aube d’un cancer qui ferait de la pensée de LA mort une méditation de SA mort. D’où cette idée directrice : la pensée de la mort se confond avec l’horizon même de la pensée.