Sale et salace, incestueux et scatologique, l’univers du roman n’est pas sans rappeler celui qu’entretient dans ses livres Victor-Lévy Beaulieu. D’ailleurs, la première partie du bouquin, qui relate l’enfance d’Émile, le protagoniste, ressemble étrangement à Race de monde : le père catholique, mou jusqu’à en perdre l’échine, la mère forte, le journal étudiant, la sexualité précoce
Faute de prêts et bourses, Émile quitte prématurément le cégep. Un agent de l’Aide sociale lui fait valoir que c’est la seule manière d’obtenir des prestations : ça, ou poursuivre ses parents. Il a pris sa première décision d’adulte. Une vie de grandes et de petites misères s’ouvre à lui.
Il coltine son désabusement de bar en bar, survit en faisant des spectacles rock, puis un jour « le fil d’acier qui retenait en place les mécanismes du désespoir se rompt d’un seul coup ». Ce jour-là, il se bourre de psychotropes. Il hallucine. Il perd connaissance. Une voix lui dit d’arrêter l’alcool, la drogue, les baises sans lendemain, de se trouver une femme, puis d’écrire.
L’ouvrage recèle de grandes qualités, mais sent à plein nez la thérapie personnelle. Exorciser une vie décadente passée, mais aussi, régler des comptes. Par exemple, l’auteur met en scène Jean Leloup. Dans sa brève apparition, le chanteur fait figure de prétentieux, mais surtout, tient un discours outrageusement misogyne. Dans quelle mesure ce passage s’insère dans la trame narrative ? Il faudrait le demander à l’auteur.
Certains ont reproché à Éric McComber d’écrire ses dialogues en langue vernaculaire. Quand un personnage prend la parole, il n’embouche pas un parlé parisien, mais montréalais. C’est le contraire qui devrait choquer. C’est là une force de l’auteur et le résultat d’un travail considérable. Pour reproduire l’accent propre à chacun, pour rester fidèle à la sonorité, il a certainement répété longtemps l’exercice que Flaubert appelait le « gueuloir ». L’écrivain a justement de la gueule à revendre : un style et une voix forte. C’est son deuxième roman. Gageons qu’il y en aura d’autres et sans aucun doute, de meilleurs.