L’auteur précipite son héros contre deux adversaires costauds : la mafia et le FBI. Les deux organisations lui demandent des comptes à propos d’un passé auquel l’amnésie lui interdit l’accès. Leur insistance est d’autant plus brutale qu’elles ne croient ni l’une ni l’autre à cette trahison de la mémoire. Ce n’est d’ailleurs qu’une des convergences entre les défenseurs de l’ordre et l’empire du crime. Si distance il y a entre les deux machines, elle tiendra aux justifications mises de l’avant plus qu’aux gestes. Et encore ! Pèse ainsi sur toute l’histoire le poids d’une injustice doublement verrouillée : comment l’amnésique pourrait-il raconter ce qu’il ignore ? Le récit, alerte et prenant, se déroule à l’ombre de deux impératifs : la survie et la recherche d’une identité.
De façon constante, l’auteur tend vers une écriture soignée. Il y parvient assez bien, sauf peut-être dans certains échanges verbaux. Le ton cesse alors d’être plausible, le vocabulaire et la syntaxe versent dans l’artifice et le plaidoyer change de registre. Dérive heureusement peu fréquente. Contrairement à l’habitude du roman québécois, qui manifeste le plus souvent peu d’intérêt pour la description, Gaï De Ropraz situe les décors avec précision et même avec une chaleur éloquente. Quand, par exemple, à la fin de la trajectoire, tombent en place les derniers éléments du casse-tête, l’auteur prend le temps de décrire la propriété ‘ la Palazzina ‘ qui attend son héros sur la Côte d’Azur. La description rend l’immeuble si accueillant, si attentif aux besoins d’un homme qui se cherche encore que le lecteur ressent grâce à elle ce qu’éprouve le personnage.
Pareil soin comporte une rançon. Méticuleux quant à l’architecture, aux routes, aux habitations, De Ropraz l’est tout autant quand il s’abandonne à son culte des bons vins. Métier ou passion privée, la dégustation fige alors l’action comme le ferait l’impérieux coup de sifflet d’un arbitre ou d’un policier. Péché pourtant véniel dans un récit qui retrouve ensuite son rythme trépidant.