Shan Sa fait à peine trente ans et compte déjà deux autres romans, primés, en plus d’un recueil de poésie. Avec La joueuse de go, le talent de cette écrivaine happe subtilement, mais sûrement : phrases exactes et puissantes de simplicité, construction narrative brillante et raffinée, ponctuée d’habiles téléscopages temporels. Le récit avance au rythme de courts chapitres où alternent les voix de deux narrateurs, pion noir, pion blanc, destins antagonistes qui s’entrelaceront néanmoins par la passion que fait naître le jeu de go. Ainsi, chaque jour, place des Mille Vents, une jeune Chinoise de seize ans s’y adonne avec les partenaires que lui amène le hasard. Elle excelle à ce jeu où l’on gagne par la perfection de l’esthétisme. Abstraite dans les calculs que nécessite cet art de l’encerclement, elle s’échappe de ses complexes relations amicales, amoureuses et familiales. À travers ces séances auxquelles elle ne peut faire défaut, un adversaire de taille changera sa vie à son insu, de par sa présence indéfectible qui scrute chacun de ses coups, car le style de jeu parle ; même le bruit des jetons sur la planche dévoile les pensées d’un opposant. Au moment d’interrompre leurs échanges, l’amour s’est installé par le truchement du jeu, discrètement, ainsi qu’une évidence : « Je ne connais rien de lui, excepté son âme ». Damier sur fond de Chine des années 1930, avec nationalisme mandchou, communisme, invasion japonaise, espionnage, réalités et tortures de la guerre, drames familiaux et amoureux, influence occidentale, Shakespeare en filigrane, l’intrication des contraintes révèle l’intégrité des personnages en présence, et culmine effectivement dans l’esthétisme en fin de partie, où victoire et défaite se trouvent surpassées. Par moments, la prose juste et aérienne de Shan Sa atteint l’intangible : « Mourir, est-ce aussi léger que s’étonner ? » Étonnement, en effet, et ravissement devant cet espace commun qui est à la fois fossé entre deux êtres, où le go devient espace de fiction.
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