« Bénissez la chance, mes enfants, d’avoir vu le jour dans l’une des plus belles langues de la Terre. Le français est votre pays. » Dans cet opuscule en manière de conte philosophique, Erik Orsenna redonne vie aux mots de la langue française et – plus osé encore – à une grammaire onirique, charnelle, vitale.
Deux jeunes naufragés, Thomas et sa sur Jeanne, se retrouvent sur une île, épuisés, hébétés, aphasiques. Monsieur Henri – poète musicien à la voix douce – les recueille et se propose de leur réapprendre l’usage de la parole ou plutôt, des mots. C’est ainsi qu’ils redécouvrent des mots perdus, des mots oubliés, et qu’ils se les réapproprient. « Nos mots préférés sont des affaires intimes, comme la couleur de notre sang. » Mais « les mots, c’est comme les notes. Il ne suffit pas de les accumuler. Sans règles, pas d’harmonie. Pas de musique. Rien que des bruits. La musique a besoin de solfège, comme la parole a besoin de grammaire ». La grammaire ? Aïe aïe aïe, pensent Thomas et Jeanne qui se rappellent « l’horreur des conjugaisons, la torture des exercices, les accords infernaux des participes passés ». Monsieur Henri fait alors un pari : « Si dans une semaine vous n’aimez pas la grammaire, je casse ma guitare ».
Commence alors un périple initiatique au pays des règles faites chair, dans cette usine où les noms se marient avec les adjectifs et où les verbes ne cessent de s’activer. Mais voici que Jeanne est enlevée puis enfermée pendant deux longues semaines à la Sècherie, où grammaire rime avec corvée et où les directives ministérielles appliquées à la lettre semblent avoir pour unique but de dégoûter enseignants et élèves. Sauvée une fois encore par Monsieur Henri, Jeanne reprend son apprentissage. Après quelques tâtonnements, elle réapprend l’artisanat. « Les vrais amis des phrases sont comme les fabricants de colliers. Ils enfilent des perles et de l’or. Mais les mots ne sont pas seulement beaux. Ils disent la vérité. »
Inutile de préciser que Monsieur Henri aura gagné son pari ; et Erik Orsenna aussi.