On réédite aujourd’hui sous le titre générique de La Gazette littéraire de Montréal le deuxième périodique à voir le jour au Québec. Ses deux fondateurs français, le rédacteur Valentin Jautard et l’imprimeur Fleury Mesplet, s’étaient donné la « double mission didactique » de « favoriserl’instruction » des Canadiens et de « développer l[eur] esprit critique », ce, en mettant à profit l’utile dulci d’Horace. Mais leur adhésion à la philosophie des Lumières, leur critique de l’ordre social, leur remise en cause de l’enseignement du Collège de Montréal et leur intervention dans l’administration de la justice déplurent au gouverneur Frederick Haldimand, qui, sous la pression du juge René-Ovide Hertel de Rouville et du supérieur des sulpiciens, Étienne Montgolfier, supprima le journal et emprisonna ses animateurs.
La Gazette littéraire de Montréal n’avait pourtant pas un contenu très subversif. Ses 574 textes offrent plutôt un large éventail de sujets, hormis les matières politiques et religieuses, volontairement écartées : on y trouve des maximes et des sentences, des réflexions morales, scientifiques et juridiques, des poèmes de différente nature (hommages, élégies, sonnets, chansons…), des fables et des contes, des leçons d’orthographe, de grammaire et de versification, des questions d’arithmétique, de géométrie et de géographie, des anecdotes, des jeux littéraires versifiés, sous forme d’« énigmes » et de « logogriphes », des « avertissements » (annonces), des discussions sur l’éducation, la mode féminine, les différences climatiques, le plagiat, la loi naturelle, le savoir-vivre… Suivant la mode européenne du journalisme littéraire de l’époque, les auteurs, masculins pour la plupart, écrivent alors sous l’anonymat ou le pseudonymat. Les nombreux articles que Valentin Jautard publie pour sa part sous le couvert du « Spectateur tranquille » répondent souvent à des contradicteurs, qu’ils soient réels ou fictifs. Les polémiques sont d’ailleurs fréquentes, notamment autour de ce qu’il est convenu d’appeler l’« Affaire ‘Zélim’ » et de l’éphémère Académie de Montréal, née pour défendre le controversé Voltaire. Le ton varie du badin au sérieux, de l’encensement à la dénonciation, de la critique humoristique à l’attaque cinglante.
Les éditeurs ont procédé à différentes uniformisations typographiques et corrigé les « coquilles évidentes » et les « fautes flagrantes ». « Par souci de témoigner de l’état de la langue française à la fin du XVIIIe siècle », ils n’ont cependant « modernisé ni la grammaire, ni l’orthographe des mots ». Il faut souligner ici avec insistance la richesse de l’appareil critique qui accompagne cette réédition : la justesse et la finesse de l’introduction de Nova Doyon, de même que l’ampleur et la précision des annotations de Jacques Cotnam et de Pierre Hébert font de cette publication désormais incontournable un document d’une rarissime qualité, qu’une quantité relativement peu élevée d’anomalies, eu égard aux multiples difficultés inhérentes au projet, ne réussit pas à ternir.