Vendredi, 10 novembre 1989, Liv Simard, 15 ans, en Allemagne dans le cadre d’un programme d’échange international, assiste devant le petit écran à la chute inespérée du mur de Berlin. Une foule en liesse explose dans la nuit. C’est la réconciliation des deux Allemagne. Mardi, 11 septembre 2001, à l’école de Sabine à Jersey City, les cours prennent fin précipitamment. En rentrant, la fillette de onze ans, accompagnée de sa mère venue la chercher, voit s’écrouler l’une des tours du World Trade Center, et des gens plonger dans le vide. Une épaisse fumée noire obscurcit la matinée et répand partout la désolation. L’inconcevable s’est produit. Le meilleur et le pire peuvent coexister dans l’homme, comprendra Liv, après avoir découvert la philosophe allemande Hannah Arendt.
Le chassé-croisé entre les deux événements illustre la structure du roman, qui va et vient de décembre 1988 à décembre 2001, à l’écoute soit de Liv, la narratrice à la première personne, soit d’un narrateur à la troisième personne qui s’immisce dans la tête de Sabine. Les chapitres répartis avec symétrie nous transportent de villes du Québec à des villes allemandes, ou chez Sabine et sa mère à Jersey City, en face de New York. Contrastes entre des modes de vie, des valeurs, des rapports au monde. Des portions de dialogues font aussi se chevaucher les langues, tantôt le français et l’allemand, tantôt le français et l’anglais. Effet de réel ? En partie seulement puisque la romancière nous laisse comprendre que Liv décide de s’adresser en allemand à sa « mère d’accueil » à partir du moment où elle se résout à lui faire confiance, tout comme Sabine parlera français à Philippe, l’ami de sa mère, le jour il aura réussi à l’apprivoiser.
Car dans cette courte période historique, Liv et, quelques années plus tard, Sabine, tâtonnent pour trouver leur place. Annie Cloutier tisse avec réalisme et finesse les réseaux sociaux où elles évoluent, ayant soin de cultiver le mystère quant à l’identité de certains personnages, et porte un regard lucide sur les valeurs en présence, sans juger. Roman d’initiation d’abord, La chute du mur fait s’entrecroiser la recherche individuelle de deux jeunes, en transition vers la vie adulte, avec deux événements marquants de l’histoire récente. Il est des moments charnières dans la vie des individus, comme à l’échelle des nations, semble nous dire la romancière.
Ce deuxième roman d’Annie Cloutier confirme le talent d’écrivaine qui s’était révélé dans Ce qui s’endigue, publié en 2009.