Quand Jean Meckert a publié ce roman en 1954 à la collection « Blanche » de Gallimard, il avait déjà commencé à s’imposer à la « Série Noire », sous le nom de « Jean Amila », comme l’un des meilleurs auteurs français de polar. Tout comme Nous sommes tous des assassins (1952), réédité simultanément chez Joëlle Losfeld, Justice est faite est la novélisation d’un film éponyme d’André Cayatte, premier volet d’une série de longs métrages que le réalisateur des Amants de Vérone a consacrée aux lourdeurs et aux dysfonctionnements de la justice française. Pour autant, Meckert ne s’est pas contenté de coucher sur papier les dialogues de Charles Spaak, mais il a véritablement réécrit le film, fidèle aux préoccupations libertaires de Cayatte, qu’il partageait en grande partie.
De même que La tragédie de Lurs (1954 ; J. Losfeld, 2007), inspirée par l’affaire Dominici, révélait en Meckert un essayiste de premier plan, Justice est faite permet d’imaginer quel brillant nouvelliste il aurait été, lui qui, en matière de fiction, n’a signé que des romans. Dans Justice est faite en effet, sa stratégie narrative consiste à superposer, comme autant de récits brefs, les points de vue des sept jurés appelés à se prononcer sur un troublant cas d’euthanasie : Elsa Lundenstein, soit par compassion, soit par calcul d’héritière, a aidé à mourir son riche amant, Maurice Vaudrémont, atteint d’un cancer. L’accusée donne elle aussi sa version des faits, en promenant un regard lucide mais cynique sur le déroulement de son procès en assises. On retrouve dans ce livre le meilleur de Meckert : un style évoquant Céline, Pourrat et Prévert, un sens aigu des nuances psychologiques et une saisie lumineuse des murs d’incompréhension qui divisent les individus. La réhabilitation des romans de Meckert, entamée en 2005 avec l’admirable inédit La marche au canon, trouve dans ce petit bijou une justification supplémentaire.