Ce quatrième tome du Journal dérivé de Bruno Roy (1943-2010) regroupe des écrits plus intimes que tous ses livres précédents, à l’exception de son autobiographie Mémoire d’asile (Boréal, 1994), dont la rédaction libératrice est ici évoquée. Au fil des pages, l’écrivain relate ses rencontres, sa poésie, ses innombrables lectures (de Jacques Brault à Boris Cyrulnik), ses nombreux combats pour un Québec français et pour la dignité des anciens « orphelins de Duplessis » – dont il fut. Adoptant un ton réflexif dans sa préface, l’auteur constate en relisant la partie de son journal rédigée quelque 35 ans plus tôt à quel point il lui était difficile d’oublier l’éducation catholique qu’il avait reçue : « Bien sûr, même si je tentais de m’en libérer, rien n’indiquait que j’avais réussi ».
Les récits de voyages et de vacances sont ici nombreux. En se rendant pour la première fois chez la famille nombreuse de sa fiancée, au Nouveau-Brunswick, le jeune amoureux s’émerveilla en découvrant une maisonnée remplie de nouveaux cousins tapageurs ; « […] le jeu n’est réel qu’avec des enfants », écrivait-il le jour de Noël 1974. Tout comme le personnage de Tit-Coq imaginé par Gratien Gélinas, cet ancien orphelin de Duplessis goûtait alors au bonheur familial : « Ici, j’apprends la vie familiale à sa souche la plus pure ».
Son enfance pénible lui a laissé des cicatrices indélébiles ; ce thème obsédant revient fréquemment, non pas comme un regret, mais plutôt comme une manière d’interroger le monde et son propre rôle de père. À ce propos, il écrira : « Je n’ai pas connu le malheur d’avoir un père », ou encore : « Pour mes filles, je n’ai jamais tenté d’être le père que je n’ai jamais eu ».
Le spécialiste de la chanson québécoise évoque également l’époque des boîtes à chansons et ses liens avec des artistes comme Louise Forestier. On revit également le processus de scénarisation de la télésérie consacrée aux orphelins de Duplessis en 1995. Et au fil des lettres qu’il reçoit, Bruno Roy évoque inévitablement une série de récits personnels de tant de camarades de misère ayant vécu comme lui le drame de ces enfants sans famille internés dans des asiles simplement parce que personne d’autre ne pouvait s’en occuper.
Ce Journal dérivé n’est peut-être pas le meilleur livre de Bruno Roy ; son ouvrage Mémoire d’asile est plus intense et autrement bouleversant ; ses livres sur la chanson sont plus instructifs. Mais ici, Bruno Roy prouve qu’il a pu savourer des moments de bonheur.