Au fil de ses livres, Charles Robin aura été la bête noire de l’auteur, éminent spécialiste de l’histoire de la Gaspésie. Né sur l’île de Jersey, Charles Robin était une sorte de personnage dickensien, un capitaliste sauvage et inhumain. Dont le journal inédit est maintenant publié.
Nuit blanche a fait écho à plusieurs livres de l’écrivain Sylvain Rivière, dont ceux qu’il a consacrés à l’impitoyable Charles Robin (1743-1824), et particulièrement L’empire des Robin. Histoire de l’esclavage du pêcheur gaspésien (Trois-Pistoles, 2013), qui demeure une somme accablante sur l’histoire méconnue de la péninsule gaspésienne sous le régime anglais. On peut affirmer, à la suite de Sylvain Rivière, que Charles Robin a érigé un empire prospère et semblable à un monopole en se nourrissant de la misère de Gaspésiens appauvris, entre autres en payant ses employés selon un système de coupons valables uniquement pour ses propres produits.
Plus de deux siècles après les faits, la lecture de ce Journal demeure nécessaire selon Sylvain Rivière, qui y voit une source « sur la navigation, les gens, les mœurs, la pêche et la vie en général (…) ». Dans ce Journal, on découvre de l’intérieur ce commerçant, réputé insensible et insatiable. Mais ces défauts ne transparaissent pas ici, et certains passages font même preuve d’une certaine empathie, par exemple à propos des Acadiens déportés, « maintenus par le Roi de France, mais très pauvrement. Plusieurs sont morts durant l’hiver ». Son style factuel laisse rarement transparaître ses émotions. Ce sont les descriptions faites par Charles Robin qui sembleront les plus utiles pour les historiens, et notamment à propos de la vie quotidienne des Autochtones, car pour tout ce qui touche à son commerce et à ses relations avec ses partenaires, ce navigateur était un filou et un exploiteur, bien que le Dictionnaire biographique du Canada soutienne au contraire qu’il commerçait « astucieusement ». Son Journal regorge d’indications géographiques : « Navigué au soleil levant de Tracadièche pour Ristigouche à 6 h. Arrivé à l’entrée de la rivière près d’une pointe de galets où j’ai vu plusieurs huttes wigwams et trouvé là une goélette de pêche appartenant à Louisbourg (…) » (le 7 juin 1767).
Sylvain Rivière adopte la méthode éprouvée du grand historien Marcel Trudel, qui ne jurait que par les documents d’époque pour contextualiser l’histoire. Une carte montrant les lieux décrits et des annotations en bas de page auraient certainement été utiles pour se repérer, car le texte contient énormément de noms de lieux-dits qui ont changé, comme l’ancienne Isle Saint-Jean, rebaptisée « Prince Edward Island » à la fin du XVIIIe siècle.
En rouvrant le Journal de Charles Robin, nous découvrons un autre côté de ce commerçant omniprésent en Gaspésie. Mais, après une mainmise si douloureuse, une réhabilitation de Charles Robin ne serait pas envisageable, et ce n’était probablement pas le but de Sylvain Rivière en exhumant ce journal.