Quoi de plus fastidieux que de plonger, en spectateur passif, dans le quotidien de quelqu’un ! Rien de bien passionnant non plus à lire des commentaires sur de parfaits inconnus, sur des conférences, des mondanités, des réceptions auxquelles on n’a pas participé. Mais en revanche, quel merveilleux instrument de connaissance qu’un journal d’écrivain ! On y découvre la genèse de son œuvre et l’on assiste aussi parfois à l’acte d’écriture. On est témoin des fluctuations de sa vie, de ses moments d’angoisse, de ses jubilations, de ses doutes, ses peines, ses projets On est aux premières loges.
Un journal se décline au quotidien, ou presque. C’est un singulier témoin de la fuite du temps qui nous façonne au fil des événements. C’est le lieu où, en principe, la censure n’existe pas. Joyce Carol Oates y note des pensées et des expériences qui s’imprègnent en elle et deviennent matériau de création. Un journal permet d’observer, au fil des notes, ce qu’on oublie trop facilement dans le feu de l’action : qu’une vie est constituée de jours, d’heures, d’innombrables instants où la pensée évolue, revient en arrière, stagne puis fait des bonds : « La vie défile comme un torrent. Aujourd’hui, hier, demain ». Qui est Joyce Carol Oates ? Qui a-t-elle été ? Qui sera-t-elle ? Une multitude de personnes qui changent selon les circonstances, les étapes de la vie, comme nous tous. « La fascination d’un journal : on ‘entend’ son moi de naguère, on reconnaît la période à certains points de repère, on s’identifie de nouveau mais pas entièrement il reste toujours quelque chose et ce quelque chose est ce qui a mûri, changé, en soi. »
Ce que l’on retient de ces extraits de journal, c’est l’extraordinaire vitalité qui s’en dégage, l’énergie qui permet à Joyce Carol Oates de mener une vie publique très active et d’avoir malgré tout une vie privée qu’elle consacre presque entièrement à son œuvre. Et quelle œuvre ! On connaît surtout ses romans, mais elle a tâté de tous les genres : nouvelles, poésie, théâtre, essais, critiques et s’étonne elle-même de sa prodigieuse capacité d’écriture. Elle nous livre de précieuses réflexions sur le temps, la vieillesse, la mort, les regrets sur le processus d’écriture, sur le plaisir qu’elle prend à réécrire tous ses romans, jusqu’aux épreuves qu’elle ne se contente pas de corriger.
Un journal, c’est la vérité du moment, sans cesse revisitée. Chez un écrivain, c’est la mémoire de l’écriture.