Il neigeait ce jour-là à Paris. Jean Echenoz largue une des dernières copies de son manuscrit rue Bernard-Palissy. Récoltant une lettre de refus après l’autre, et s’y résignant presque à vrai dire, il avait rayé jusqu’à ce jour cette trop grande maison d’édition de son carnet des possibles. Pourtant, ce jour là, Jean Echenoz, romancier avant le titre, rencontre pour la première fois Jérôme Lindon, l’éditeur des éditions de Minuit.
Jérôme Lindon s’est éteint le 12 avril 2001. Le texte fait état de la rencontre et de la relation de ces deux hommes qui durera de 1979 à 2001, de leur longue marche ensemble dans l’espace littéraire ; Échenoz tentant plus d’une fois de rejoindre l’éditeur, réputé pour avoir le pas rapide. Truffé d’anecdotes à saveur intime sans qu’elles ne le soient complètement, ce petit livre est fait de souvenirs issus d’une expérience toute neuve ‘ celle d’Échenoz à cette époque-là ‘ de l’univers de la publication littéraire. Des instants de gêne ordinaire sont traqués ici et là, dont je m’en voudrais de dévoiler les détails. On se surprend entre autres à imaginer la main du romancier qui serre trop fort le combiné de téléphone, ou l’extrême retenue dans ses manières lors d’un dîner en compagnie de l’auguste éditeur. Enfin, que des gestes simples, auxquels viennent s’ajouter les petites distances orgueilleuses et les apprentissages du métier d’écrivain.
La narration sait rendre l’attachement à l’homme qu’a été Lindon ‘ narration qui tranche avec celle, vertement ludique et omnipotente, qu’on lui connaît dans ses romans. Echenoz livre ainsi dans ces soixante-trois pages quelques cellules impressionnistes, un portrait lumineux de ce « pessimiste combattant » qui, dit-on, exécrait les états d’âme, et qui fut aux commandes de la désormais légendaire communauté de Minuit. Disons-le : le livre se dévore. Subsiste néanmoins une perplexité amusée, impression familière d’ailleurs pour qui connaît les fictions d’Echenoz, à la relecture de cette phrase placée en exergue : « Un jour de neige, c’est lui qui descendit tuer le lion dans le réservoir (2 Samuel 23, 20) ».