Tel est le véritable et indispensable travail du réviseur linguistique, comme le rappelle Jean-Pierre Leroux d’entrée de jeu dans l’essai qui vient de paraître à titre posthume : « Garder, c’est surveiller, non pour prendre en flagrant délit, mais pour mettre à l’abri. C’est protéger, non contre le changement, mais contre la disparition, l’écroulement. Le tout dans le silence recueilli de la lecture ». Et pour bien s’acquitter de son rôle de protecteur, on doit savoir aimer ce que l’on veut justement protéger et sauvegarder, ici la langue écrite.
Pour cela il faut connaître sa langue de travail, en l’occurrence le français dans le cas qui nous occupe, et ses propres limites comme réviseur. La connaissance de ces dernières est indispensable afin de cultiver le doute et d’opérer le choix le plus judicieux qui soit des ouvrages dont le réviseur doit s’entourer pour travailler : dictionnaires de langue, grammaires, livres de référence, ouvrages terminologiques et encyclopédiques divers, sans compter les multiples moteurs de recherche qui sauront venir à sa rescousse une fois épluchée la documentation disponible à portée de sa main. Mais au-delà de ces outils, voire de la maîtrise de la langue que l’on acquiert lorsqu’on fait ce métier, une qualité demeure indispensable pour s’acquitter de ce travail avec non seulement tout le soin requis, mais tout le respect dû à l’auteur du texte que l’on révise : la modestie, l’humilité du technicien ainsi que la nomme Jean-Pierre Leroux. Cette même qualité, souligne-t-il non sans une pointe d’ironie (la modestie ne rend pas aveugle, comme il l’illustre dans cet essai), qu’il faut savoir cultiver, et préserver, lorsqu’on est appelé à côtoyer les auteurs à succès de l’heure. Le moment venu de célébrer, le réviseur, tel Cendrillon, reste le plus souvent dans l’ombre : « […] les éditeurs sous-estiment souvent le travail des réviseurs, parce qu’il est technique, et semble donc moins créatif, moins noble ». Ce dernier constat révèle une blessure jamais totalement refermée.
L’amoureux inconditionnel de la littérature qu’était Jean-Pierre Leroux l’a naturellement amené à exercer ce métier malgré des conditions le plus souvent misérables, mais non sans un certain bonheur. Sans doute avait-il su développer une forme d’ascèse au fil des ans. Il lui est même arrivé d’occuper le poste de directeur littéraire pendant une courte période (poste qu’il désignait sous le vocable de directeur du non). Aux refus répétés qu’il devait livrer aux auteurs, il préféra réviser les manuscrits acceptés par d’autres.
Cette passion pour les mots l’a ainsi mis en contact avec des auteurs pour lesquels il avait le plus grand respect. En témoignent les portraits d’écrivains dont il a révisé les manuscrits, ou auprès desquels il a travaillé, et qu’il nous livre en rafales : Jean-Marie Poupart, Gaston Miron, Jacques Poulin, Michel Tremblay, Michel Beaulieu, Victor-Lévy Beaulieu, Gaétan Soucy, Denis Bélanger, et un éditeur qu’il décide, curieusement, de ne pas nommer. Ces portraits sont tantôt teintés d’admiration et d’humour, tantôt de dépit et de regret.
Je ne peux passer sous silence avoir connu Jean-Pierre Leroux à l’époque où il habitait Québec et poursuivait des études en linguistique à l’Université Laval, études qui l’avaient déçu et qu’il avait fini par abandonner. Son départ pour Montréal, ville qu’il affectionnait et avait fait sienne, entraîna des échanges de lettres dans lesquelles il faisait part de ses débuts de réviseur, partageait son enthousiasme et ses déceptions, autant dans son travail que dans ses tentatives en vue de faire publier son premier recueil de poésie (il en publiera trois). Je le souligne parce qu’à la lecture de cet essai, il me semblait entendre sa voix à chaque ligne. Sa voix et son rire tout en retenue, à sa ressemblance. Je le reconnaissais dans sa quête absolue de vérité, de franchise et d’intégrité tant dans son travail qu’en amitié. L’amour inconditionnel qu’il avait pour les mots trouvait par moments des instants de grâce qui abolissaient la frontière entre les mots et la vie, tel ce passage de La détresse et l’enchantement de Gabrielle Roy qui, s’il évoquait à ses yeux son amour filial, aux miens il le définissait à son tour : « Car la peine que j’éprouvais provenait surtout de ce que je n’apercevais nulle part de réparation possible. Telle que la mort séparait, je resterais envers mon père. Il n’y aurait jamais rien à ajouter, à retrancher, à corriger, à effacer ». J’aime à penser qu’il n’y avait pas que les textes qu’il souhaitait réparer.
On pourra lire Le gardien de la norme pour les avis judicieux qu’il contient à l’intention des réviseurs (jeunes ou pas) et des écrivains (modestes ou pas), mais c’est avant tout un témoignage d’amour aux livres, à ceux qui les lisent et les écrivent que nous offre ici Jean-Pierre Leroux.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...
DERNIERS ARTICLES
Loading...