On peut se réjouir que les éditions Albin Michel aient décidé, en 2007, de rééditer Jean-Christophe en un seul volume, donnant une nouvelle vie à la pièce maîtresse d’un écrivain majeur de la première moitié du XXe siècle, mais sombrant graduellement dans l’oubli. Pacifiste engagé, Romain Rolland (1866-1944) a conjugué l’amour de la musique et la passion de la culture avec l’idéal d’un héros nietzschéen non-violent, animé d’aspirations généreuses. œuvre ambitieuse, Jean-Christophe fait état de cette recherche d’harmonie et de sagesse. Le cycle se compose de dix romans écrits entre 1904 et 1912. Inaugurant le genre du roman-fleuve, Jean-Christophe a valu à Rolland le prix Nobel de littérature en 1915.
Jean-Christophe raconte la vie du musicien Christophe Krafft, frère spirituel de Beethoven et personnification d’un romantisme Belle Époque. Écrit dans la tradition du roman d’apprentissage allemand, fortement inspiré de Goethe, Jean-Christophe se déroule en bonne partie en Rhénanie et à Paris. À l’aube de la Première Guerre mondiale, Rolland s’est fait un devoir d’illustrer la complémentarité de la France et de l’Allemagne, à l’heure où Maurice Barrès, dans Colette Baudoche, se moquait de la « lourdeur teutonne ». Génie musical précoce et ombrageux, sensible mais intraitable, Christophe n’appelle pas particulièrement la sympathie. C’est d’ailleurs l’une des réussites de Rolland que d’en avoir tracé un portrait nuancé, où réalisme et idéalisme tiennent chacun une part équilibrée. Il s’agit bien, pourtant, d’un héros de son temps, bergsonien, imprévisible et inquiet. L’instinct lui tient lieu d’esprit : « […] je suis un homme qui agit d’après ses impulsions. Quand une certaine quantité d’électricité s’est accumulée en moi, il faut qu’elle se décharge, coûte que coûte ; et tant pis pour les autres, s’il leur en cuit ! »
La formule du roman-fleuve, qui a connu de belles heures avec Jules Romains (Les hommes de bonne volonté), Georges Duhamel (Chronique des Pasquier) et Roger Martin du Gard (Les Thibault), n’a plus tellement la faveur du lectorat. Pourtant, Jean-Christophe a mieux vieilli qu’on pourrait le croire. Contemporain de Thomas Mann et de Marcel Proust, Rolland mérite amplement d’être lu aux côtés de ces deux géants.