Très attendue, chaque nouvelle publication de Nancy Huston est aussitôt disséquée par les médias français et québécois tandis que l’écrivaine d’origine canadienne multiplie les entrevues. Son dernier titre, Infrarouge, ne fait pas exception à la règle. Il faut dire que certaines dimensions de ce roman attirent les commentaires Celle qui, dans Dolce agonia, osait donner la parole à Dieu, s’intéresse ici sans équivoque au désir des femmes, au regard qu’elles portent sur le corps masculin, à l’érotisme et à ses dérives. La page couverture du livre, un détail d’une toile du Caravaggio (Michelangelo Merisi dit Le Caravage), peintre italien de la fin du XVIe siècle ‘ un homme nu, jambes écartées, à partir de la taille ‘, plonge d’ailleurs immédiatement le lecteur ou la lectrice dans l’univers particulier de son personnage principal.
Photographe professionnelle, Rena Greenblatt travaille pour un magazine d’actualités parisien. Afin de souligner les 70 ans de son père, un scientifique spécialisé en neurologie, elle l’invite à venir la rejoindre pour un séjour en Toscane avec sa seconde épouse. Mais ce qu’elle imaginait comme une semaine idyllique se transforme en un véritable pensum pour Rena qui constate l’absence d’intérêt d’Ingrid pour l’art italien, les sautes d’humeur de son père, leur lenteur et leurs petites manies. Exaspérée, elle se réfugie dans ses discussions avec Subra, son alter ego imaginaire dont le nom rend hommage à la célèbre photographe américaine Diane Arbus. Au fil des jours et des visites plus ou moins ratées, elle se remémore ainsi ses relations complexes et parfois tordues avec ses hommes : son père, son frère aîné, ses nombreux amants, ses maris et ses deux fils ‘ et avec sa mère, une brillante avocate, décédée dans des circonstances tragiques. Tandis que son dernier amant en titre, Aziz, journaliste au magazine, la harcèle afin qu’elle rentre couvrir avec lui les fameuses émeutes qui ont fait flamber le ciel des banlieues de Paris à l’automne 2005, Rena replonge ainsi au cœur de sa tragédie familiale.
Libertine, Rena ? Assurément. Libre ? Rien n’est moins sûr. Cette sexualité débridée dont elle se plaît à raconter les détails est aussi un enfermement dans une spirale qu’on lui a imposée, très jeune, et que Nancy Huston révèle peu à peu tout au long des huit chapitres qui rendent compte des huit jours du voyage en Toscane. En fait, à l’instar de l’inversion d’Arbus Subra, l’envers des choses est toujours très près de la surface dans Infrarouge. On ne se surprendra donc ni de la maladie qui frappe Simon Greenblatt ni des derniers mots d’Aziz au téléphone
En plus d’un entourage très cosmopolite ‘ un amant d’origine maghrébine, un autre japonais, des maris haïtien, cambodgien et sénégalais, une amie suédoise, une mère australienne et une belle-mère néerlandaise ‘, Huston a choisi de doter Rena d’un père juif anglophone de Montréal. Infrarouge est donc truffé ici et là de passages qui se déroulent dans la métropole. On s’étonne cependant de quelques incongruités telles que la référence à l’aéroport Mirabel ‘ alors que tous les vols internationaux ont été transférés à Pierre-Elliott-Trudeau en 2004 ‘ ou l’amant qui hurle « te m’aimes-tu ? » ‘ au lieu de « tu m’aimes-tu ? » ‘ en faisant l’amour