Directeur du vaste projet de recherche « Archéologie du littéraire au Québec », Bernard Andrès livre aujourd’hui la synthèse d’une vingtaine d’années de travail dans un essai particulièrement dense où il remet en contexte les écrits du XVIIIe siècle relatifs aux origines des lettres québécoises. Les auteurs de la fin du Régime français en Nouvelle-France et des quarante premières années de la Province de Québec ont laissé des chansons, récits biographiques, poèmes de circonstance, mémoires, polémiques, pamphlets, correspondances, pétitions, oraisons, chroniques, textes de théâtre et de gazette, que Bernard Andrès, avec la collaboration de cinq chercheurs, a réunis en 2007 dans la volumineuse et désormais indispensable anthologie La conquête des lettres au Québec, abondamment utilisée ici.
Après une première partie théorique où il expose les principes d’une archéologie du littéraire, l’essayiste retrace l’évolution de la figure du Canadien telle que décrite par les observateurs d’ici et d’outre-mer : fonctionnaires, missionnaires ou officiers de passage, ils ont nom Robert Chevalier (dit de Beauchêne), le baron de Lahontan, Mgr de Saint-Vallier, Mathieu Sagean, François-Joseph de Vienne, Jean de Crèvecœur (dit St. John de Crèvecœur), Jean-Baptiste de Ramezay, Élisabeth Bégon… Une troisième et dernière partie fait « un bilan social et sociétal : où en sont rendus les Canadiens dans leurs rapports avec l’ancienne et la nouvelle métropoles, mais aussi dans leurs propres interrelations d’après-Cession ». Bernard Andrès convoque cette fois les textes littéraires, politiques et administratifs des Saint-Luc de La Corne, sœur Saint-Ignace, Fleury Mesplet, Valentin Jautard, Pierre de Sales Laterrière, Charles-François Bailly de Messein, Henry-Antoine Mézière et autres Joseph-Octave Plessis ; sans compter les ouvrages anonymes ou publiés sous pseudonymes et « astéronymes ».
L’essai repose sur des recherches approfondies, étayées par les abondantes lectures dont font état les 31 pages de la bibliographie terminale, dans laquelle on retrouve notamment pas moins de 45 titres d’articles ou de livres publiés par Bernard Andrès lui-même, seul ou en collaboration, depuis 1995 principalement ; 758 notes étalées sur 40 pages accompagnent le tout. Comme scientifique de la littérature, le chercheur prend soin de définir les termes qu’il utilise : utopie, publication, protoscripteur, phénotype, ethnonyme canadien, patrie et patriote, identitaire et identité, littéraire et littérature, document et monument… Il précise également la « démarche comparatiste » qui lui permet « d’apprécier l’originalité relative des phénomènes analysés ». Il réussit ainsi à « narrer […] l’émergence de [l’]espace public » où sont apparues les pratiques littéraires du XVIIIe siècle, lesquelles recoupent, implicitement ou explicitement, le discours philosophique des Lumières et s’inspirent à l’occasion des idées révolutionnaires américaines et françaises d’alors. En « recontextualis[ant] » les œuvres retenues, Bernard Andrès permet de lire avec une justesse accrue les écrits colligés dans l’anthologie de 2007, entre autres l’Appel à la justice de l’État de Pierre du Calvet, le théâtre de Joseph Quesnel et le conte anonyme Zélim, qui fut à l’origine d’une polémique sur le plagiat.
Histoires littéraires des Canadiens au XVIIIe siècle est un ouvrage fort rigoureux dont la lecture et la relecture s’imposent.