Pour Seth, adolescent surdoué et sensible, l’oubli prend les traits de sa mère : une trentenaire plongée dans l’effarement et la désorientation, qui fugue de son foyer en pleine nuit avec pour tout bagage dix kilos de viande pourrie et qui ne reconnaît plus en cet étranger son fils qui la prend par la main pour la ramener à la maison. Une hospitalisation fait s’abattre le verdict sur Seth et son père : la maman et épouse aimante est atteinte d’une forme rare d’Alzheimer précoce dû à un gène déficient. Ces égarements en sont les premiers symptômes.
Alors qu’il suffirait au fils de se soumettre à une analyse sanguine pour apprendre s’il a hérité de ce gène, il préfère ne pas connaître son avenir et se tourne plutôt vers le passé, un passé dont sa mère l’a privé puisqu’elle a toujours refusé d’en parler. Sachant que la mutation chromosomique qui provoque la maladie est récente, Seth comprend que le premier à l’avoir manifestée est l’ancêtre commun de tous les malades en Amérique et que les autres patients constituent sa famille. Il part donc en quête de ces parents éloignés.
Abel, vivant en ermite, a vu sa mère puis son frère mourir de l’Alzheimer précoce. Pour lui, l’oubli représente un fait d’autant plus cruel qu’il est délibéré : tel l’abandon volontaire que lui a infligé sa fille en fuyant après la révélation d’un terrible secret de famille, vingt ans auparavant. Tandis qu’il devrait se réjouir de ne pas être affligé du gène meurtrier et ainsi de ne pas l’avoir légué à son enfant unique, le vieil homme est condamné à se souvenir et à espérer douloureusement le pardon et le retour de sa Jaimie adorée.
Et si les routes de Seth et d’Abel se croisaient pour conjurer la malédiction de chacun ?
Roman à deux voix complété par la généalogie de cette grande famille condamnée à perdre la mémoire et par des bribes d’un conte transmis de génération en génération par les malades comme seule trace de souvenir, ce livre est le premier d’un auteur de 26 ans. Mais quel roman ! Voilà une œuvre puissante écrite par un jeune génie. Les années 1990 ont permis l’émergence de Donna Tartt et de son Maître des illusions. L’Amérique de la présente décennie voit naître comme auteur Stefan Merrill Block. Un nom à retenir.