Le roman noir ne s’appelle pas ainsi pour rien et Pete Dexter, dans God’s Pocket, le démontre à merveille. Roman noir, très noir, véritable béance qui aspire quiconque ose s’y pencher, God’s Pocket est l’histoire du quartier du même nom, un quartier de Philadelphie où « quoi qu’on fasse, on reste là, fidèles à ce qu’on est ». C’est l’histoire d’un meurtre, celui du jeune Leon Hubbard, et celle du cul-de-sac dans lequel il plonge ses proches, sa mère, son beau-père, ses compagnons de beuverie, son patron. Oui, God’s Pocket – la poche de Dieu -, c’est l’histoire affolante et magnifique de « trop de choses, oui, et toutes vides ». Histoire d’alcools tièdes et de chemisiers sales qui collent à la peau. D’amours en fuite, de rêves mort-nés. De petites mafias locales et de grandes terreurs ventrales.
Dexter, ancien reporter et éditorialiste, possède une connaissance remarquable des milieux journalistique et policier. Ses dialogues sont mordants, ses descriptions, grinçantes, ses métaphores, d’une acuité désarmante. Et l’agilité avec laquelle il engloutit le lecteur dans son récit est rare, très rare. Aussi est-ce non seulement le meurtre de Hubbard et l’enquête qui s’ensuit qui fascinent, mais d’abord et surtout l’ambiance dont ils semblent enduits, ce trouble dans l’air qui brouille la vision, cette sorte de résignation qui fige tout geste, suspend toute parole, annihile toute tentative d’en sortir.
Roman dur d’une existence sans issue, God’s Pocket examine, sans pour autant y jeter une quelconque condamnation, les traits cernés, le teint blafard de ces êtres à la mentalité du perdu d’avance, peine perdue et puis à quoi bon. Et ce sont précisément leurs réactions devant la perte, le deuil – allant du pathétique au dérisoire -, qui donnent au récit sa dimension vertigineuse, haletante, suffocante. Enfin, il est impossible de ne pas mentionner l’excellente traduction d’Olivier Deparis, qui sait bien rendre le talent de Dexter en gardant vivante la force de ses images et effilées les pointes d’humour qui les parcourent.