Célèbre presque malgré lui ou du moins sans l’avoir voulu, Gilles Kègle fait bon usage de l’engouement qu’il suscite dans le public et particulièrement dans les médias. Sans fracas ni vanité, il stimule les générosités et incite chacune et chacun à offrir son bénévolat. C’est tout un milieu qui s’en trouve animé.
La biographie que trace de lui Anne-Marie Mottet ne fait pourtant pas dans le dithyrambe ou la littérature rose. Gilles Kègle a le sentiment qu’il n’a pas eu d’enfance et n’a jamais reçu d’affection. Victime d’agression sexuelle, il réagira en se chargeant d’une culpabilité injustifiée. Il se réfugie dans la solitude et se construit une foi exigeante et torturée. La trajectoire scolaire n’apportera pas non plus de grandes satisfactions, car l’enfant prend du retard sur ses contemporains et ne retombera sur ses pieds qu’au moment où il s’intégrera à un cours commercial. Cela ne dure pourtant pas. Quand il apprend le métier d’infirmier et ses secrets, on pourrait espérer l’apaisement, tant l’envahit la conviction d’être enfin utile et heureux, heureux parce qu’utile. L’orientation est la bonne, mais la sérénité n’est pas encore au rendez-vous. L’alcool fait ses ravages, les propensions suicidaires se font pressantes… L’auteure ne cache rien et puise abondamment dans les confidences de Kègle lui-même.
Épisodes douloureux, mais qui, à jamais, rendront « l’infirmier de la rue » capable d’écoute et de compassion. Il saura la fragilité de la condition humaine, mais aussi ses réserves d’énergie et d’espoir. Surtout il saura à quel point il est injuste de juger et de condamner. La meilleure preuve que sa contribution va dans la bonne voie, c’est que Gilles Kègle subira toutes les tracasseries imaginables de la part d’un système englué dans son formalisme et l’intransigeance de ses normes. Par exemple, il se dévoue tellement qu’on refusera de le considérer comme étant à la recherche d’un emploi ! Portrait nuancé d’un être qui a trouvé son salut dans le service des autres.