La réédition de cet ouvrage marque à la fois le cinquantenaire du décès de Georges Bataille (1897-1962) et les vingt années écoulées depuis la parution du livre de Michel Surya chez Gallimard (intervalle qui s’étend à vingt-cinq ans si l’on compte l’édition Séguier de 1987). Écrivain, philosophe et éditeur (il a fondé les éditions Lignes), Surya est aussi un grand connaisseur de Bataille, qu’il a commenté, édité et préfacé à plusieurs reprises. Fort de ses quelque 700 pages, Georges Bataille, la mort à l’œuvre est un ouvrage important, qui s’adresse aussi bien au profane qu’au spécialiste.
Il faut d’abord s’habituer à la syntaxe parfois contournée de Surya, qui use d’un style beaucoup plus personnel que ne le font, d’ordinaire, les biographes. Sans doute est-ce la preuve que ce livre n’est pas – ou pas seulement – une biographie. Une connaissance en profondeur du contexte biographique est constamment mise en relation avec une lecture fine et subtile de l’œuvre et de la pensée batailliennes. Certains propos pourraient carrément être attribués à Bataille, comme lorsque Surya affirme : « La mort n’est pas seulement le cadavre qu’on aura (qui n’est pas à même de l’imaginer ?), pas même celui qu’on a déjà : elle est celui qu’on est ». Si la phraséologie de Surya donne quelques maux de tête, la lecture de cet essai est tout de même facilitée par la brièveté des chapitres, dont certains portent un titre accrocheur (« L’œil à l’œuvre », « La philosophie dans le mouroir », « Le corps maudit ») ou vaguement familier (« L’annonce faite à Marie »).
Du rapport compliqué entre Bataille et son père aveugle à sa liaison avec Colette Peignot, alias Laure, la « sainte de l’abîme », de la fascination de Bataille pour le supplice dit « des cent morceaux » à ses idées politiques au moment où il fondait la revue Critique, l’essai de Surya est une formidable mine de renseignements. Il permet par exemple de distinguer de façon définitive Bataille de son grand devancier, le marquis de Sade, sur la base d’une opposition entre le débauché et le libertin. « L’érotisme que met en jeu Bataille souille, nuit et ruine », écrit Surya. Un demi-siècle après sa mort, Bataille n’a pas fini de nous intimider.