« Je rêve aujourd’hui à de jeunes historiens qui rêvent [d’écrire l’histoire] comme Foucault », confie Paul Veyne. Écrire de la sorte, n’est-ce pas d’emblée viser à dégager la differentia ultima d’une formation historique dont la société, qui n’est pas ultime, justement, se trouve constituée par des discours et des dispositifs qui lui octroient ses modes de fonctionnement ? Avec une acuité remarquable et une causticité salvatrice sans être amère, Veyne met en lumière le fonctionnement de la pensée et de la méthode foucaldienne, profondément herméneutique, empiriste et positiviste.
Le grand principe, non seulement de Foucault, mais du foucaldisme, radicalement : « […] le devenir de l’humanité est sans fondement, sans vocation ni dialectique qui l’ordonneraient ; à chaque époque ce n’est qu’un chaos de singularités arbitraires, issues de la concaténation chaotique précédente ». Exit les sublimes logiques concaténatoires et transcendantales, mais pas l’histoire car une étude rigoureuse des faits et gestes des humains montre qu’on ne peut pas « penser n’importe quoi à tout moment, on ne peut pas dire n’importe quoi à n’importe quelle époque » ! Nous sommes donc tenus, que nous le voulions ou non, tenus à des a priori historiques, lesquels s’avèrent inconscients ou implicites et révélés par les discours qui les confirment et leur sont immanents. Héritier lointain de Sextus Empiricus, Foucault prend ici la part du lion : ce samouraï ne fut ni antihumaniste, ni relativiste, ni structuraliste ou nihiliste, mais bien sceptique quant aux idées générales, aux universaux, jamais quant aux faits. Les trois pans de sa recherche, le savoir vrai, le pouvoir et la subjectivation, se déploient en effet dans l’horizon de la constitution d’une archéologie (comprendre comment ceci fut pensé à telle époque) et d’une généalogie (décrire les pratiques sociales et autres qui ont eu pour corollaire comment l’être était pensé). Dans ces conditions, exit ! la dialectique hégélienne, le retour freudien du refoulé et l’amour inconditionnel de l’Origine. Ça vaut la peine qu’on s’y arrête !
Le livre inspiré de Veyne, qui s’appuie beaucoup sur les Dits et écrits, malheureusement trop peu fréquentés, doit être lu avec minutie tant y sont bousculées les idées reçues sur Foucault. D’ailleurs, outre toutes les belles avancées concernant la pensée foucaldienne, le vibrant chapitre VI sur Heidegger mérite à lui seul le détour, comme le chapitre V, qui pourrait être lu comme une radicale critique épistémologique de l’édifice construit par Freud dans L’homme Moïse et le monothéisme. Sans oublier le nuancé chapitre final, portant cette fois sur l’homme, avec toute la délicatesse qui l’empreint. De quoi revoir les « jeux de vérité » que nous croyons si assurés.