Ce livre de celle dont on disait qu’elle avait « du nez » fleure bon. Quand elle parle de son œuvre, elle parle de sa vie : son œuvre est sa vie. Conteuse, elle fouille dans sa mémoire, qui est aussi celle de son peuple, et recrée l’origine de ses écrits.La démarche d’Antonine Maillet, dit-elle, s’articule autour de trois mots-clés, liberté, imagination et inspiration, précisant que le premier de ses personnages, qu’elle le veuille ou non, c’est elle-même.Sa liberté, elle la rattache à son enfance alors qu’elle s’inventait des jeux, se contait des histoires ou se dressait « contre la maîtresse pour défendre la langue française privée de ses droits à l’école ». Cet amour pour la langue traverse Fais confiance à la mer, elle te portera, texturant aussi bien son style, toujours imprégné du français acadien, que ses idées.Son imagination se fonde sur sa mémoire qui, elle, se nourrit de son vécu dans sa région natale de Bouctouche. Maillet affirme que tous ses personnages sont inspirés par des gens qu’elle a côtoyés et s’interroge sur « l’opposition entre la mémoire et l’imagination, entre la réalité et la fiction ». Pourtant, entre ce qu’elle garde de la réalité et ce qu’elle transpose par l’écrit, l’écart est immense. À partir de ceux et celles qu’elle a connus ou dont on lui a parlé, elle crée un monde aux dimensions épiques, alimenté par sa vision, nourri par sa passion pour Rabelais et les contes. La réalité, plate et somme toute relativement insignifiante, devient un monde dans lequel la fantaisie illumine ce qu’elle ressent comme étant la vérité des êtres et des faits. Dans tout ce livre court le plaisir qu’elle éprouve à transposer, à transfigurer son peuple pour en tirer des personnages hors de cet ordinaire qui les aurait enfermés à tout jamais si elle ne les avait pas dépeints : « Je ne suis pas du tout convaincue que le voyage dans mon microcosme intérieur soit fictif. Ni paradis ni fiction. Autre chose. Ressuscité par la mémoire et l’imagination. Je dis bien l’imagination. La folle du logis qui à mon avis ne crée pas que du non-existant ».Là intervient l’inspiration. Prenant ses principaux personnages à témoin, elle illustre la façon dont elle se sert de diverses connaissances pour créer un personnage. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, Mariaagélas « est sortie » d’Anna à Denis, mais aussi d’Emma M. En nous apprenant qui sont ses deux sources, Maillet nous explique « que le glissement était inévitable ».En toute simplicité et avec la verve qui la caractérise, elle nous dévoile la naissance de ses œuvres, mettant l’accent sur le processus de transformation de ce qu’elle perçoit être la réalité en un matériau littéraire. Le texte est alimenté par son amour de l’Acadie et par son désir d’affirmer l’existence des Acadiens que l’Histoire a cherché à éliminer en les déportant aux quatre vents : « Ma seule arme contre l’Histoire était un crayon ».ÙDémunie, petite de taille, mais grande d’espérance, elle se souvient de ce que son père lui disait quand, enfant, elle se baignait : « Fais confiance à la mer, elle te portera ». Elle a fait confiance à la vie, à ceux qui l’ont inspirée en se servant de sa plume, si belle et si évocatrice de son milieu, pour vaincre ce qui apparaissait comme inéluctable.
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