Fidèle à ses visées, Patrick Senécal force son lecteur à se regarder crûment dans le miroir. Et, avec la même insistance, il demande au miroir de refléter sans ménagement tout ce qu’il reçoit. Cette fois, c’est aux faims qu’il adresse son questionnement. Le plus récent ouvrage signé Senécal comporte cependant une différence : les pulsions libérées n’y reçoivent pas de contrepoids. Au contraire. Tandis que, dans Les sept jours du talion (Alire, 2002), l’assoiffé de vengeance atteignait la saturation et cessait la torture, Faims pratique l’obéissance aux pires pulsions jusqu’au dernier droit.
Le mot faims surgit aux moments névralgiques du récit ; le plus souvent en relation avec la philosophie que propage un cirque ambulant réservé aux adultes. Une des femmes de la troupe, Regina, est visée par la première allusion : « – J’ai embarqué dans votre troupe parce que tu m’as dit que je trouverais un équilibre. Pis je l’ai crissement pas trouvé. / – Parce que tu n’as pas calmé ta faim ».
La deuxième occurrence met en scène Francus, qui joue au voyant et débite son baratin attrape-nigauds : « – Mais depuis quelque temps, depuis quelques années, cette faim revient de plus en plus souvent. Elle a même tendance à demeurer en vous, à vous ronger. À tel point que parfois, vous êtes littéralement affamé ».
Une troisième émergence du terme survient sans mettre en cause les membres de la troupe. Quand le policier Joël triche sa femme et fait l’amour avec Marie-Ève, celle-ci exprime son contentement : « T’avais faim. Pis un gars qui a faim, c’est le fun ».
Dans les derniers soubresauts de l’intrigue, l’homme fort du cirque, dont les rares amours risquent toujours de se terminer ainsi, étrangle sa partenaire. À son compagnon qui lui demande s’il a « encore faim », il répond : « – Mais j’arrive pas à me contrôler ! […] / – C’est faux, Mark : si tu ne te contrôlais pas, tu le ferais beaucoup plus souvent, non ? »
Au cas où, malgré tout, l’excuse de la faim ne suffirait pas à apaiser les consciences, les âmes troublées sont invitées à assumer. C’est le conseil que distribue le gourou du très permissif Humanus Circus, mais aussi celui de Marie-Ève au policier mal à l’aise dans son adultère : « – On l’a quand même fait seulement deux fois… / – De toute façon, je ne suis pas surprise. T’assumais pas vraiment, tu te sentais coupable. / Assumer… Pourquoi n’aimait-il pas ce mot ? »
Peut-on parler d’esquive ? On perçoit, en tout cas, l’esprit des attaques simplistes contre la psychanalyse : l’important, selon cet humour poisseux, n’est pas de guérir le patient, mais de le rendre apte à vivre heureux en conservant ses obsessions…
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