L’éditeur d’Eva et Ruda a eu l’excellente idée de présenter en alternance les récits autobiographiques publiés à l’origine en deux parties séparées d’un couple de Juifs tchèques ayant connu les affres de la ségrégation raciale et de la déportation dans différents camps de concentration durant la Deuxième Guerre mondiale.
Plus que la « chance incroyable » dont parle Eva, c’est l’incommensurable amour de ce couple, augmenté du courage persistant qui l’a alimenté, qui lui a permis de « survivre à l’entreprise de déshumanisation nazie ». Tous deux nés à Prague dans des familles aisées et élevés dans « un immense et ardent enthousiasme nationaliste », avec « un minimum de tradition juive et sans adhésion religieuse », ils se sont rencontrés dans le mouvement de jeunesse sioniste « El-Al » et se sont aimés sur-le-champ pour la vie. S’étant retrouvés après la guerre, ils décidèrent de s’établir à Montréal, où Ruda (décédé en 2015) devint psychiatre et psychanalyste, et où Eva, formée comme infirmière-puéricultrice à Prague, obtint une maîtrise en langues de l’Université de Montréal. Avant sa première parution en français, en 2010, ce « récit à deux voix » fut d’abord publié en anglais en 1984 (Lives on Borrowed Time), puis en tchèque en 2009.
Nul n’ignore la montée du nazisme, les exactions de Hitler, l’intransigeance de la Gestapo, les mesures antisémites qui aboutirent à la « solution finale », pas plus que l’obligation pour les prisonniers du port de l’étoile de David, les numéros de tatouage, les déportations massives dans des wagons à bestiaux aux conditions sanitaires exécrables, la confiscation des biens, les barbelés électrifiés des camps, le travail forcé, les expériences médicales du docteur Mengele, médecin en chef d’Auschwitz… Mais le récit d’Eva et Ruda touche et ébranle par la spécificité de leur parcours dans ce monde proprement inhumain et par l’exposé de mille et un petits faits qui lui donnent une réalité personnelle. Ainsi, tous deux se marièrent le 22 novembre 1942 devant un rabbin dans le camp de concentration de Theresienstadt et vécurent leur nuit de noces dans un grenier rempli de bottes de foin et infesté de puces. Ils participèrent au troc incessant auquel se livraient abondamment les prisonniers pour survivre, de même qu’à la pêche à la ligne avec ver et hameçon pour attraper les poules dans les douves du camp de Terezin. Ils font encore état de la vie sexuelle active de certains détenus, des poux porteurs du typhus au camp de Belsen, des activités du « kommando Kanada » (une cellule de résistance formée de détenus politiques à Auschwitz-Birkenau), des sous-officiers et simples soldats S.S. facilement corruptibles… Certaines opérations ont exigé une témérité à toute épreuve, qui mettait directement leur vie en danger : « […] que pouvait-il nous arriver d’autre que ce qui arrivait autour de nous chaque jour sans exception à des milliers de gens ? » de commenter là-dessus Eva en rapportant les convois de nouveaux prisonniers hongrois, « gazés sans sélection préalable au rythme de dix à vingt mille personnes par jour ».
On notera la forte concordance de ces deux récits écrits pour ainsi dire à quatre mains, la « biochimie de l’amour » aidant. Eva et Ruda livre un témoignage d’une véracité bouleversante, qui ne laissera personne indifférent, pour dire le moins.
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