Le roman de Louise Lacasse, prix Robert-Cliche 2010, n’est sans doute pas l’œuvre littéraire du siècle mais il ne laissera pour autant personne indifférent. Loquace sans être bavard, accumulant les précisions, souvent inutiles, sans être verbeux et multipliant les clins d’œil au lecteur sans tomber dans la recette, il développe un ludisme global qui porte fruit.
En témoignent d’abord les noms de lieux et de personnages : situé à dix kilomètres du « Village près-du-Fleuve », après le « chemin de la Pente-Descendante », le « Village-des-Rangs » héberge entre autres les quatre frères Lambert, prénommés Ric, Éric, Ulric et Bénédic ; un « Africain de Chicago » s’y présente pour l’achat de terrains. Inattendus ou hyperboliques, des rapprochements lexicaux ont le même effet : le latin de « maman Lambert », experte en scrabble, « se résum[e] à amen et tankiou » ; outre qu’elle fait gazouiller tous les oiseaux du voisinage, l’activité enfiévrée d’un couple au lit fait « geindre les ressorts, couiner les roulettes, bander et débander les lattes du sommier […], tinter les lames des stores, tintinnabuler les flacons sur la commode, grincer les dents des aïeux plastronnés sur les murs, hurler les coyotes des monts environnants et siffler les baleines dans le Saint-Laurent » ; ailleurs on voit une épouse s’élancer sur son mari « les deux mains comme les serres d’un vautour du Yucatan qui se jette sur un mouton d’Afghanistan broutant innocemment ».
Le mode narratif participe également de ce ludisme : à la façon des romanciers québécois du XIXe siècle, mais cette fois avec un large sourire pourrait-on dire, le narrateur hétérodiégétique (à la troisième personne) utilise volontiers la parabase (intrusion de l’auteur dans le texte et interpellation du lecteur) : « Vous vous attendez probablement à suivre le cours des pérégrinations de notre héroïne » ; « entre vous et moi » ; « [m]ettez-vous à sa place ».
Éteignez, il n’y a plus personne est aussi un roman satirique. Il met notamment en scène un agent de police, amateur d’herbe, qui, tout en nettoyant le visage ensanglanté de la péripatéticienne Lolita, lui explore le décolleté de sa main baladeuse avant de l’élargir. Mieux encore, voici le recteur de la NOWU (North-West University) de New York, un « tricheur » profiteur qui prétend à tort que ses recherches ont été subtilisées par sa « doctorante » et qui sabote l’entrée de celle-ci comme professeure à Harvard, « [u]ne université sans importance qui veut nous concurrencer », dit-il. Ce « recteur boursicoteur » approuve au surplus le plagiat d’un étudiant : « Copier-coller, n’est-ce pas la façon de faire dorénavant ? »
Échelonné sur un espace temporel de quelques mois, le court roman de Louise Lacasse est composé comme un recueil de nouvelles… qui, brusquement, s’arrête après la vingt et unième.