Le précédent roman de Stéfani Meunier, Ce n’est pas une façon de dire adieu, m’avait laissé sur ma faim, mais il a néanmoins été finaliste au Prix des libraires, comme quoi d’autres s’y retrouvaient. Le nouveau titre, Et je te demanderai la mer, me semble beaucoup mieux réussi, avec des voix narratives plus distinctes, un imaginaire marin bien exploité et une capacité réelle à brosser en quelques lignes une profondeur à ses personnages. Si des éléments sont récurrents dans l’œuvre de Meunier, tels que la place prépondérante de la musique et la soif de l’ailleurs conjuguée au désir paradoxal de s’établir, ils sont ici beaucoup mieux intégrés au récit.
Autour d’un homme, Dan, qui cherche à refaire sa vie à la suite d’un échec amoureux, en achetant un motel décati dans le Nord, se construisent des histoires de rédemption, d’attente et se tissent des rapports humains plus sincères autour de deux familles disloquées et en reconstruction. Dan voit un jour arriver une cliente désabusée et alcoolique accompagnée de son fils qui lui rappelle le sien. Avec ce jeune garçon, Léo, Dan apprend à assumer son rôle de père et entreprend de se rapprocher de Marco, son enfant mystérieux.
L’intérêt du roman réside peut-être moins dans ces relations faites d’attentes et de reculs, de fulgurantes poussées et de moments de liesse que dans la manière dont la mer, l’eau, le monde marin en vient à créer un imaginaire qui est partagé par les protagonistes et qui donne une saveur iodée aux souvenirs, aux espoirs et à la présence des autres. Chacun porte son image fondamentale du bonheur et maintes fois dans le roman cette furieuse liberté est liée à la vie aquatique. L’ailleurs est une soupape, un moyen de s’accrocher à un instant magique qui restitue le sens de la quête ; c’est donc par la mer, chantée, vue, imaginée avec ses monstres, ses poissons, ses odeurs et sa présence rassurante que les personnages abordent l’incessant recommencement du monde et des relations humaines. C’est là que le roman de Meunier parvient à créer sa cohérence, au-delà des dialogues et des apartés superflus. Et je te demanderai la mer s’égare à l’occasion, cherche à tout dire de tous les personnages, mais il décrit une paternité problématique bien contemporaine, de même qu’un désir puissant de se reconstruire, à l’image du travail qu’entreprend Dan sur le motel pour le transformer et en faire un lieu habitable.