Il existait plusieurs études et thèses sur l’œuvre d’Éric Rohmer (1920-2010) mais encore aucune biographie. Déjà connu pour son superbe Dictionnaire Truffaut (2004), Antoine de Baecque a réuni avec Noël Herpe une quantité impressionnante de témoignages en plus de se servir des archives personnelles d’Éric Rohmer pour tracer ce premier portrait du plus important représentant de la Nouvelle Vague – avec François Truffaut.
Tout Éric Rohmer est ici raconté avec brio : sa jeunesse, sa famille, ses années comme critique puis rédacteur à la légendaire revue Les Cahiers du cinéma, ses premiers courts métrages et tous ses chefs-d’œuvre dont Ma nuit chez Maud (1969), L’amour l’après-midi (1972), Pauline à la plage (1983), et tant d’autres longs métrages d’une sensibilité et d’une subtilité inégalées. On suit le montage financier de tous ses projets, même inachevés, les tournages (y compris de nombreux documentaires éducatifs), la réception critique de ses films, ou encore ses relations chastes avec des actrices délicieuses. Rohmer excellait comme directeur d’actrices, et particulièrement dans les longs plans du superbe Conte d’automne (1998) avec Marie Rivière et Béatrice Romand, ou dans un film épuré comme Les nuits de la pleine lune (1984) avec la fragile Pascale Ogier.
On apprend beaucoup sur le Rohmer éducateur et chercheur en études cinématographiques ; sa thèse de doctorat sur le film Faust de F. W. Murnau avait été publiée chez 10/18 en 1977. Rohmer posa même sa candidature comme chercheur au CNRS en 1963, avec l’appui d’Edgar Morin. On évoque même le roman qu’il avait discrètement publié en 1946 sous le pseudonyme de Gilbert Cordier, La maison d’Élisabeth. Les passages les plus savoureux racontent les auditions d’actrices non professionnelles, par exemple Laurence de Monaghan pour le rôle-titre dans Le genou de Claire (1970). Cinéaste de la fidélité conjugale, Éric Rohmer brisera quelques cœurs par cette réplique sincère : « […] je suis marié et j’aime ma femme». C’est chez Jean-Jacques Rousseau que les biographes trouveront la clé pour interpréter le mythe fondateur du cinéaste, qui a vécu ses marivaudages par personnages interposés dans ses sublimes « contes moraux » : « En privilégiant ainsi le temps suspendu de l’imaginaire, là où le commun des mortels eût brûlé les étapes, Rousseau écrivait déjà Le genou de Claire ». Cette biographie exemplaire semblera aussi raffinée et méticuleuse que pouvait l’être Éric Rohmer, le dernier des grands réalisateurs français.