Philippe Delerm explore les anfractuosités de l’instant et nous en révèle ce qui échappe au regard distrait et trop empressé à poursuivre la course effrénée des heures, qui deviennent journées, semaines, pour finalement composer le parcours d’une vie. Il nous a ainsi offert quelques bonheurs de lecture, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, La sieste assassinée, Enregistrements pirates, pour ne mentionner que ces titres. Cette exploration, lorsqu’elle emprunte la voie romanesque, ne se décline toutefois pas avec le même bonheur. Là où le regard de l’écrivain sait saisir et rendre la précarité du bonheur, là où l’écriture, resserrée et précise, se démarque par une acuité sensible, la narration a ici tendance à emprunter à l’aquarelle son côté évanescent, à glisser sur la surface des choses. Sans doute cela est-il intentionnel, Philippe Delerm cherchant, par la voie romanesque, à explorer d’autres formes qui traduisent la fragilité du monde qui, tel un château de cartes, peut à tout moment s’effondrer silencieusement. Mais le bonheur de lecture, je l’avoue, n’a pas ici la même densité.
Elle marchait sur un fil met en scène une femme, Marie, la mi-quarantaine, attachée de presse pour des maisons d’édition. Pierre, son mari, vient de la quitter pour une femme plus jeune. Se retrouvant seule, Marie s’interroge : sur ses motivations professionnelles, sur la part de responsabilité qui est la sienne dans la séparation survenue entre Pierre et elle, et sur le rôle qu’elle a pu jouer dans le choix de son fils de délaisser le théâtre pour une profession plus sûre qui lui permette, selon les mots de Pierre, de s’épanouir. Tout se joue ici sur le plan de l’acceptation, ou du refus, de vivre ses rêves dans un monde qui ne cherche que le succès, l’épanouissement personnel. Au contact de jeunes comédiens, chez qui ce rêve est encore intact, Marie renoue avec le désir et l’importance de concrétiser son rêve : mettre en scène le spectacle qu’elle avait imaginé pour son fils. Comme le titre du roman le laisse entendre, le projet est périlleux et risque à tout moment d’entraîner Marie dans une chute que tous, autour d’elle, redoutent.
Le roman interroge avec à propos le rôle et la responsabilité que les parents peuvent avoir dans les choix que font leurs enfants en reportant, inconsciemment ou non, leurs propres rêves sur leurs épaules. Mais on parvient difficilement à s’identifier aux personnages, à celui de Marie entre autres, qui porte cette quête. Tout se joue dans l’écriture, et les meilleurs moments du roman demeurent ceux où Philippe Delerm extrait des actions de ses personnages les instants de doute, comme de lucidité, qui nous rappellent qu’il est avant tout un fin observateur des petits et grands bonheurs, comme des petites et grandes inquiétudes qui modulent nos existences.