Nouveau roman d’Horacio Castellanos Moya, nouvelle manière d’inscrire les mêmes motifs obsédants que sont la violence, le racisme, la folie, les filiations troubles et la politique. Cette fois-ci, dans Effondrement, qui présente la décadence de la bourgeoisie centraméricaine, Castellanos Moya délaisse en partie le monologue au profit d’une structure tripartite, centrée sur trois formes de narration distinctes. À travers une dispute familiale racontée principalement par les répliques acrimonieuses d’un père et d’une mère qui se chamaillent à propos du mariage de leur fille, à travers un échange épistolaire qui décrit de l’intérieur les conflits entre le Salvador et le Honduras et à travers le récit linéaire (nouveauté chez Moya) d’un jardinier qui supporte une femme aigrie, le roman témoigne de la désintégration d’une famille sur trois générations et sur près de trente ans, de l’assassinat de Kennedy à la dilapidation du patrimoine familial de la matriarche haineuse et perfide, Lena.
Celle-ci est présentée dès la première scène du roman, alors qu’elle s’oppose à la fois au mariage de sa fille, Teti, avec un Salvadorien jugé communiste, Clemente Aragon, frère de l’ambassadeur du roman précédent, et à son mari, président du Parti nationaliste hondurien qui veut assister à la cérémonie de sa fille. Elle enferme son mari dans les toilettes, provoquant une âpre et fielleuse dispute, qui signale sa folie, ses rancunes, sa paranoïa et son racisme. La table est ainsi mise pour décrire, dans la seconde partie, alors que les hommes marchent sur la Lune, la lutte fratricide entre deux peuples frères, lors de la Guerre du football, décrite par les missives échangées entre Teti installée à San Salvador et son père Erasmo, impliqué dans la politique du pays. La dernière partie, vue à distance par un paysan qui supporte Lena et ses charges verbales jusqu’à la mort de celle-ci, déploie toutes les tensions, les inimitiés et les silences qui couvent dans une famille détruite, exilée partout en Amérique centrale, et qui refuse le modèle, les valeurs et la logique de Lena, confinée alors à son ressassement et à ses déceptions.
Dans l’univers de Castellanos Moya, cette dernière partie est une bouffée d’air frais, comme si une certaine humanité était encore possible, malgré les tensions historiques et politiques qui traversent la région (guerre, génocide, torture, problèmes financiers, folie, alcoolisme, etc.). Il n’est pas étonnant que si cette compassion peut s’affirmer, elle ne le fasse que par le truchement de « gens de peu », d’ouvriers agricoles. Dans cet autre portrait au vitriol d’une bourgeoisie déconnectée, avare et ambitieuse, remplie de préjugés et toujours portée à les énoncer, c’est Maceo le jardinier qui incarne une certaine rédemption. Serait-ce qu’une page est tournée dans l’œuvre riche de Castellanos Moya ? À tout le moins, les ressources du récit semblent pointées vers de nouvelles perspectives, fort intéressantes.