« Au fond je m’en fous quasiment de mourir, parce qu’à l’âge que j’ai, à presque dix-sept ans, ça avance moins bien qu’avant : j’ai pris un sérieux coup de vieux et j’ai peur d’avoir déjà vécu le meilleur de moi-même et de commencer à radoter. » Contre le cancer qui ronge ses os et ne lui laisse aucun espoir de guérison, Frédéric Langlois, le principal protagoniste de ce quatrième roman de Sylvain Trudel (le cinquième à paraître aux éditions Les Allusifs), oppose le cynisme de l’adolescent qui n’a plus rien à perdre, si ce n’est l’amour de Marielou, son amie d’infortune, atteinte comme lui d’un cancer.
Sylvain Trudel reprend ici une nouvelle déjà parue dans le recueil Les prophètes qui relatait les derniers moments d’un adolescent sur son lit d’hôpital. Il ne s’agit toutefois pas d’une reprise, mais d’un redéploiement complet du thème de la mort à laquelle est confrontée le personnage principal. L’écriture, tantôt sous forme de poèmes et tantôt sous forme de journal, s’avère le dernier repli qui lui soit, comme à son amie, accordé pour échapper au cul-de-sac stérilisé et à la mièvrerie sentimentale qui composent son lot quotidien. Si le désarroi ressenti à cet âge est habituellement causé par la crainte qu’on éprouve face à la vie, et non devant la mort, la force du roman tient justement à la justesse du propos qui réussit à évoquer la détresse et la révolte du personnage.
Du mercure sous la langue s’inscrit fort bien dans le nouveau sillon littéraire qu’est en voie de tracer cette nouvelle maison. D’abord par la qualité de l’écriture, la précision et l’efficacité du style qui épousent parfaitement le propos du roman. Ce dernier aurait toutefois pu être resserré quelque peu. Son efficacité dramatique en aurait été accrue. Mais sans doute s’agit-il d’une réserve toute personnelle, influencée par la lecture récente des premiers titres parus à cette nouvelle maison et qui m’ont laissé une impression des plus favorables, entre autres raisons à cause du rythme soutenu qui les caractérise et qui colle au plus près de la conscience narrative. À moins que le thème, ici la mort, exige quelque répit pour rendre l’issue du roman sinon acceptable à tout le moins tolérable.