Régis Debray s’insurge contre le fait que la Société des gens de lettres a proposé, au terme d’une réflexion demandée par l’État, le nom de Stendhal comme écrivain pour représenter, voire incarner, la France en vue de l’exposition universelle de 2020. Mais pourquoi avoir négligé le choix qui s’imposait d’emblée à tous, c’est-à-dire l’immense Victor Hugo ?Le choix de Stendhal, laissant Victor Hugo bon deuxième aux yeux de la Société des gens de lettres, résulte d’un vote secret des éminents sociétaires – « un vote corporatif », dixit Debray – pour désigner l’ambassadeur culturel le plus approprié pour personnifier le génie français. Dans ce contexte, ce débat peut prendre des proportions allant bien au-delà de la littérature puisqu’il s’agit de représenter, de symboliser la France, comme l’a fait Goethe pour l’Allemagne, Cervantes pour l’Espagne ou encore Dante pour l’Italie. C’est une question de reconnaissance de la collectivité hexagonale dans un seul génie littéraire, donc un problème d’identité nationale. Mais au pays de Molière, La Fontaine, Balzac et Flaubert, il y a trop de bons finalistes parmi les écrivains universels, auxquels il faudrait ajouter des nobélisés comme Camus et Mauriac.Pour l’auteur de Notre ADN culturel, la préférence pour l’auteur du Rouge et le noir chez la Société des gens de lettres serait symptomatique d’une certaine France élitiste et égocentrique, désormais portée « par les vents ascendants d’un siècle impeccablement cynique et dépassionné ». Victor Hugo serait-il trop « populaire », trop accaparé par les masses, donc par des « non-littéraires » ?Dans le style pamphlétaire qu’on lui reconnaît après plus de 70 ouvrages, Debray a choisi de montrer la grandeur de l’auteur des Misérables, sans pour autant diminuer ses rivaux littéraires. Écrivain total et prolixe, Victor Hugo a publié des milliers de pages de poésie, de théâtre, d’essais et d’articles, en plus des chansons, contes et romans. Même ses carnets et ses journaux intimes ont été publiés de façon posthume, tout comme ses écrits politiques, philosophiques et spirituels. Comme si besoin était, Debray fait la défense et l’illustration de l’auteur de Notre-Dame de Paris, roman si souvent repris et adapté. Mais Du génie français est d’abord une critique de la France actuelle – plus individualiste, plus égocentrique, moins altruiste – qui ne se reconnaît plus dans ses monuments littéraires d’autrefois. L’exercice est réussi, audacieux, convaincant, et fait réfléchir. Comme toujours avec le superbe Debray, les références littéraires et culturelles surabondent ; on lui reprochera toutefois l’absence de références bibliographiques, même pour les citations, pourtant nombreuses.Il faut relire Victor Hugo, mais également redécouvrir Stendhal, que l’on n’aimera pas moins après la lecture de cette apologie. Et aussi replonger dans les essais précédents de Régis Debray.
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