En cette époque où le discours des hommes et des femmes les uns sur les autres est encore trop souvent teinté de mauvaise foi, Marie Rouanet offre un récit réconfortant à ceux et celles qui croient que la différence ne devrait pas forcément mener au conflit et que l’équité ne se mesure pas à l’aune d’une équivalence mathématique. La différence, même irréductible, ne signifie pas qu’il est impossible de communiquer puisqu’il « n’y a pas de frontière sans un endroit où la franchir ».
La découverte de l’autre sexe, Marie Rouanet rappelle comment elle l’a vécue dans son enfance, dans sa province française des années quarante. Le premier souvenir raconté est lié aux départs matinaux de son père pour la chasse, par le biais desquels le monde masculin lui apparaît puissamment odoriférant et résolument tourné vers l’extérieur. Le portrait des copains de ce dernier, tous modestes travailleurs, lui permet de dessiner ensuite plusieurs types d’hommes : le coureur, le doux, le naïf, le gourmand, etc. Aucun n’est bien méchant, mais chacun est quelque peu contraint de trouver hors de la maison ‘ domaine des femmes, où ils encombrent, salissent et dérangent ‘ un endroit où retrouver la complicité de ses pairs.
Elle évoque également la curiosité des fillettes vis-à-vis des garçons : curiosité que ne vient ternir aucune envie d’être comme eux. C’est la fascination pour la différence qui culmine dans la sexualité, dont les jeunes filles semblent deviner quelques secrets avant même d’en avoir entendu parler. C’est du moins ce que laissent entendre comptines et jeux en apparence anodins, sans qu’il soit nécessaire de les soumettre à une grille d’analyse freudienne. Quand les garçons grandissent, les filles constatent qu’ils ne deviennent pas pour autant automatiquement des hommes. Cela ne se passe pas sans quelque rite d’initiation plus ou moins clandestin, quelque épreuve plus ou moins cruelle qui mettent en jeu la force physique ou l’endurance. Quand le petit garçon est devenu un homme, il lui est permis de participer à certains rituels de carnaval (et elle en décrit quelques-uns). Force est cependant de constater que ces coutumes passées au folklore ont perdu beaucoup de leur sens depuis que les femmes y participent de la même manière que les hommes.
Loin cependant d’être un réquisitoire contre le féminisme, ce récit, qui tient de l’autobiographie et de la prose d’idées, montre que si les femmes occidentales ont réussi à se tailler une place dans les domaines jadis réservés aux hommes, la réciproque n’est pas vraie ni facile à appliquer d’ailleurs. Être une femme apparaît dès lors comme un avantage ayant comme corollaire la responsabilité de laisser l’autre sexe trouver son espace dans un nouvel équilibre.