Jean Marc Dalpé a choisi la langue du peuple pour traduire Dry Lips Oughta Move to Kapuskasing. Ceux qui ont connu Les Rez sisters, première œuvre dramatique de Tomson Highway, y reconnaîtront les personnages et l’univers hyperréalistes d’autochtones canadiens.
Cette pièce de théâtre est bouleversante. Crue. Désagréable même parfois, mais incontournable. Il s’agit d’une tragédie moderne, sans aucun doute aussi forte que Les belles-sœurs de Michel Tremblay. Des belles-sœurs d’aujourd’hui ‘ mixtes ‘, hommes et femmes autochtones. L’auteur a poussé son écriture à fond, réussissant un tour de force en créant un condensé de tous les drames vécus par les peuples autochtones à la suite du passage des Blancs. Des peuples dont les repères ont été arrachés par l’étranger, puis dont les miettes ont tranquillement été abandonnées par les principaux intéressés.
Un groupe de femmes autochtones décide de créer une ligue de hockey féminine, d’abord locale, puis régionale, puis de plus en plus grande. Cela bouleverse les hommes, dont les rôles sont maintenant flous. Les rapports amoureux sont eux aussi brouillés, tout comme les rôles parentaux. Nanabush, héros important de la mythologie autochtone, parfois homme, parfois femme, est omniprésent. Incarné tour à tour par divers personnages de façon grotesque, il renvoie aux protagonistes un reflet lucide de leur propre réalité. Grâce aux tirades endiablées de certains personnages clés, on comprend toute la souffrance et l’égarement dont veut témoigner l’auteur au nom de son peuple. Mais il prend grand soin de donner un ton humoristique à sa pièce, sans quoi la pilule passerait de travers, si je peux oser m’exprimer ainsi.
Empreinte d’une théâtralité forte et imposante, la pièce Dry Lips devrait déménager à Kapuskasing intègre des éléments du théâtre absurde. Sans détour et sans tabou, s’y côtoient l’alcool, le sexe, le chant, les rites, l’amour. Par un traitement dramatique habile, le quotidien devient un rite, tout est authentique.
On sent un important geste créateur de l’auteur dans cette œuvre, qu’il a su terminer sur une image magnifique d’espoir, de vie pure et primaire. Un bel homme autochtone nu est assis et tient sa petite fille, tout petit bébé naissant, nue, devant lui, pour l’admirer. Beauté et pureté de la terre ancestrale retrouvées.