Pour marquer la parution d’une nouvelle traduction française des Bacchantes d’Euripide, les éditions Bayard viennent de publier un essai écrit par le co-traducteur de la pièce, Jean Bollack. Ce dernier explore plusieurs questions laissées en suspens par la critique, questions auxquelles il prétend répondre en recourant à la philologie réflexive, dont le « mode de lecture s’interroge sur les points de vue de l’auteur, et n’a rien à voir ni avec une lecture philosophique ou symbolique, métonymique ou allégorique, ni non plus avec l’encyclopédisme de l »explication’ littéraire générale ». Cette méthode met plutôt en œuvre « les techniques de la production du sens et l’interprétation qui leur est liée, avec l’enthousiasme de la passion et son dépassement », pour explorer les thèmes et les idées qui structurent la pièce : Jean Bollack s’interroge notamment sur la portée des activités transgressives de Dionysos ainsi que sur les implications initiatiques de celles-ci. Qui est ce dieu que les Grecs vénéraient mais qu’ils redoutaient tout à la fois ? Venu des confins de l’Asie, Dionysos est-il un véritable autre aux yeux de son propre peuple ? Dans un ordre d’idées semblable, que dire du caractère ambivalent d’un dieu qui se présente sous un jour à la fois divin et humain ? Ce double visage est-il gage d’unité ou ne force-t-il pas une scission évoquant les deux faces d’un peuple tourmenté ? Voilà autant de questions que Jean Bollack examine en s’efforçant de demeurer fidèle à la pensée d’Euripide.
Un rapide tour d’horizon des plus importantes études sur le sujet permet à l’auteur de situer les limites de son investigation. De Nietzsche à Vernant, en passant par Festugière, Roux et Wildberg, Bollack remarque une dissension entre une critique voulant voir dans la pièce un rite initiatique, tandis que l’autre s’acharne à y repérer l’avènement d’une religion nouvelle. Pour Jean Bollack, Euripide joue avec les croyances, au point où il fait littéralement éclater la tragédie, cette manifestation rituelle ancienne. Si le livre s’avère çà et là d’une lecture ardue, les références auxquelles il recourt ne se révélant pas à la portée de tous, il constitue néanmoins une analyse érudite et intelligente de la pièce. Pour qui ne connaîtrait par les grandes lignes de celle-ci, l’ouvrage est accompagné d’un synopsis pratique.