Détentrice d’une maîtrise en histoire de l’Université de Montréal, Sophie Jacmin enseigne au Vanier College lorsqu’elle entreprend une maîtrise en création littéraire. Deux poids deux mesures provient de son mémoire, consacré en première partie à l’humour dans Le bonheur des ogres de Daniel Pennac. L’humour, voilà la marque de son premier roman. Car il s’avère que l’histoire, quoique partant d’une situation embarrassante, se prête peu à la relance de l’action : une jeune femme prénommée Caroline, la narratrice, supporte depuis l’âge de quatorze ans des seins surdimensionnés. Vingt ans plus tard, un diagnostic de cancer entraîne l’ablation complète du sein gauche. Que faire face à une telle poitrine dissymétrique ? Se débarrasser du droit ? Recourir à des prothèses mammaires en caoutchouc ? À des implants ? À une greffe de seins ? Où et à quel prix ?
Liées à la narratrice, sa sœur, Julie, et Élisabeth de Ringuet, sa mère, descendante d’un comte belge, ajoutent leur grain de sel. L’histoire touche ainsi à celle d’une famille présente sur deux continents, avec des infidélités, des amours qui vont cahin-caha et qui font ressortir la solitude de ces femmes. Quant à l’amant Pierre, ment-il, se demande Caro, lorsqu’il dit la désirer ? Comment un homme peut-il être attiré par une femme comme elle ? Bref, une histoire qui échapperait à peine à la banalité du quotidien, sans la touche humoristique.
De fait, la romancière fait appel à l’humour et à l’autodérision, façons pour son personnage de se distancier, de dire « je souffre, mais je ne me prends pas au sérieux ». L’auteure en remet, obéissant au caractère impulsif de Caroline qu’un rien fait s’exclamer, hurler, imaginer des scénarios loufoques. Elle fait celle qui ne veut ni passion ni attachement, quand c’est plutôt la peur du rejet qui motive ses ruptures. L’aboutissement de son combat contre des seins hors norme, qu’adolescente elle qualifiait de « pis de vache », entraînera une transformation inattendue qui influera fortement sur sa vie. Une situation finale, heureuse quoique improbable dans la réalité, que seule autorise la comédie.
Par le choix d’une tonalité judicieusement adaptée au sujet, Sophie Jacmin a su insuffler une dose de mordant à un fait anecdotique pour en faire un vrai roman.