D’accord sur l’importance du concept de démocratie, les différentes plumes de ce collectif ont quand même tôt fait de s’éloigner les unes des autres. Au grand bénéfice des lecteurs. Du coup, en effet, la notion de démocratie déploie ses richesses en même temps qu’elle confesse ses équivoques. Un certain consensus se reforme d’ailleurs sur l’autre versant de l’évaluation : remplacer la démocratie n’est pas chose facile.
Alain Badiou, critique virulent, estime ardu sinon impossible de bien évaluer une notion qui sert d’emblème aux valeurs fondamentales des sociétés modernes. Comment isoler et bien jauger le préalable à toutes choses ? Sa thérapie ressemble à un détour : « […] nous n’avons de chance de rester de vrais démocrates, donc des gens homogènes à la vie historique des peuples, qu’autant que nous redeviendrons, dans des formes qui aujourd’hui s’inventent lentement, des communistes ». Moins sentencieux, Jacques Rancière se réjouit de ce que la démocratie, malgré les accaparements dont elle est la cible, demeure fidèle à elle-même : « Je veux bien qu’il y ait une certaine usure du mot là où il a été inventé, en Occident, mais si on pense à tout ce qui se passe en Asie, le mot a encore un sens ». S’insérant entre ces thèses, Wendy Brown rattache deux éléments directement vérifiables : la démocratie jouit d’une popularité sans précédent, mais peut-être sert-elle d’auberge espagnole. « Comme Barack Obama, écrit-elle, c’est un signifiant vide auquel tout un chacun peut arrimer ses rêves et ses espoirs. » Kristin Ross, tout aussi concrète et percutante, dénonce les faux démocrates qui n’aiment la démocratie que conciliante et alignée sur leurs vues. Au pilori, les Cohn-Bendit, les Bernard Kouchner, les Sarkozy. Furieux du NON de l’Irlande lors d’un premier référendum, ce dernier exprimait tout autre chose que le respect du pluralisme démocratique : « Ces Irlandais sont vraiment des cons. Ils se sont goinfrés sur le dos de l’Europe pendant des années, et maintenant ils nous foutent le bordel ». Verdict de démocrate ?
En peu de pages, voilà huit sons de cloche. Certains auteurs, enfermés dans leurs cénacles, planent haut dans la stratosphère. Chez ceux-là, le terme éthéré amphibologie est préférable à équivoque, sans doute trop compréhensible. Heureusement, la plupart y vont de commentaires plus abordables. Comme par hasard, ce sont les mêmes qui s’expriment clairement et qui militent en faveur d’une double offensive : redonner son sens premier à la notion de démocratie et accepter ‘ démocratiquement ‘ que chaque culture marche vers l’idéal démocratique à son rythme et selon son style. Livre bref, parfois exigeant, nécessaire.