De quoi demain… ? Voilà une formulation qui appelle le dialogue, voire l’entretien infini. Le malheur est ici qu’on assiste plutôt à une interview par l’historienne du philosophe et que les observations de la première sont souvent d’une naïveté presque choquante. Il n’en demeure pas moins que la promesse est tenue, au sens où la question engage bel et bien l’à-venir, ce qui vient à nous par la démocratie, ce qui résiste à toutes les formes d’appropriation sclérosante et de terrorisme, ce qui excède la réponse calculatrice, ce qui me place dans une accueillante position de vulnérabilité. C’est fort de cet indécidable que nous pouvons reconnaître l’épreuve de l’événement, de l’inconnaissable. À partir de ce jeu, tout peut et doit être repensé. Tout ? Oui, tout ce qui tient et se tient sur l’édifice spéculatif liant en occident le philosophique, le politique et l’être humain dans ses rapports complexes avec le vivant, l’animé et l’inanimé.
Ce qui me semble désormais ressortir de façon massive du travail de Jacques Derrida, et qu’on voit à l’œuvre de façon active dans cet ouvrage, c’est la responsabilité, la question par excellence, dont les implications ont trait tout autant à la violence à l’endroit des animaux qu’à la génétique, la procréation assistée, la famille, le racisme et la psychanalyse. On la voit dans les rigoureuses observations à propos de Nelson Mandela ou de Louis Althusser, dans son appui et ses réserves à l’endroit de Georges Bataille (en particulier autour de la notion de souveraineté) ainsi que dans la profonde méditation au sujet de la nécessité de la peine de mort et du droit. Une telle exigence passe inévitablement par la nécessité de ne jamais céder à toutes les formes de chantages (tout autant ceux qui surgissent de soi que ceux qui nous arrivent de l’extérieur) et de cynisme dont l’espace public est souvent saturé, pas toujours, heureusement.
Autrement dit, le courage et la lucidité sont plus que jamais nécessaires pour combattre efficacement en ces temps de haine. L’antisémitisme, le racisme, la xénophobie et dieu sait combien de modalités du fascisme demeurent solidement ancrés, aujourd’hui souvent renforcés par les formes perverses dont se pare la mondialisation. Il ne s’agit pas de diaboliser le néocapitalisme, ce qui serait ridicule ‘ et jamais Jacques Derrida ne tombe dans ce piège. Mais l’impératif de lutter contre ce qu’il appelle les plaies du nouvel ordre mondial ‘ le chômage, l’exclusion des exilés, les guerres économiques, le trafic d’armes, l’ethnicisme, le pouvoir des États fantômes (mafias et drogues) ‘ en allant même jusqu’à promouvoir l’idée de proclamer une « Déclaration sur l’horreur de l’état du monde », est désormais un devoir. Humanité, encore une effort !