Parmi le nombre incalculable d’ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale, il semble qu’aucun n’ait témoigné des bombardements qui ravagèrent l’Allemagne dès 1942. Seuls les récits d’étrangers tel Stig Dagerman montrèrent sans voile l’état de désolation dans lequel fut plongée la population des villes allemandes après la défaite. Mais de l’instant des raids aériens qui coûtèrent la vie à plus de six cent mille personnes, reste un silence qui n’a rien d’apaisant.
W. G. Sebald est né en 1944 en Bavière. Il ne garde évidemment aucun souvenir des événements funestes, mais lorsqu’il pense à son enfance, ce sont les visions de destruction et non la beauté des paysages alpestres qui représentent pour lui les premières années de sa vie. Et c’est peut-être pour dégager des ruines une origine oubliée par tout un peuple qu’il s’interroge d’abord sur les causes de ce silence. En effet, les quelques romans ou récits qui contenaient des descriptions de bombardements furent soit condamnés aux caves de l’histoire, soit vilipendés pour leur contenu subversif, quand ils n’étaient pas franchement ignorés à cause de leur engagement nationaliste. On pourrait mettre en cause la honte de la défaite et la culpabilisation vécues par les intellectuels allemands de l’après-guerre et le fait qu’ils étaient à peu près tous d’accord pour dire que leur pays l’avait bien cherché.
Les descriptions saisissantes puisées dans des récits oraux, dans des examens pathologiques sur les corps réduits par la chaleur des incendies, ou dans des lettres finissent par dire l’horreur. W. G. Sebald constate que l’humain, pour vivre, doit oublier ce qu’il a vu de l’enfer. Après l’anéantissement de sa ville, une femme nettoie les vitres de sa maison encore debout pendant qu’une autre balaie l’entrée du cinéma dont elle est responsable, alors qu’il n’en reste à peu près plus rien. En quelques jours seulement, on avait déjà tracé les rues. Des arbres qui avaient subi une chaleur à faire fondre l’asphalte fleurirent à nouveau. L’herbe poussait à l’intérieur des maisons. Comme si, au fond, la destruction faisait partie d’un cycle naturel de régénération et de dégénérescence. En ce sens, raviver la mémoire assure peut-être la vigilance.