Dans le ventre la nuit est un premier recueil pour Bruno Lemieux, publié dans la collection « Initiale » du Noroît. Malgré une unité formelle difficile à déceler et quelques titres de sections moins évocateurs, on y découvre un regard attentif au monde et aux êtres, qui dénote une sensibilité poétique évidente.
Dès la première section du recueil, intitulée « Et les ciels changent sans fin », on comprend d’emblée que la posture poétique de l’auteur est plutôt contemplative. On est en présence d’un sujet observateur, témoin du passage incessant des êtres et de leur fragilité, qui exprime sa fascination, mais aussi son désarroi, devant ce ciel changeant, où se font et se défont les formes auxquelles il s’attache, celles du paysage, de la mer ou du fleuve. Cette nostalgie, cette impression que les choses se fanent dès qu’on se tourne vers elles, amène le thème du deuil nécessaire : « [L]e long du quai / je songe aux âmes noyées / les imagine en leur séjour profond ».
Mais l’œuvre n’en reste pas là, car il s’agit surtout d’un parcours initiatique au cours duquel le poète doit apprendre à vivre avec ce visage fugace du monde. C’est à travers leur passage et leur mouvement qu’il en vient à aimer les êtres, à les rencontrer vraiment, sur un mode intime et participatif. Cela donne lieu à de magnifiques images très personnelles et senties tout au long du texte, et particulièrement vers la fin, où le poète ne se contente plus de témoigner de ce qu’il voit, mais va vers le monde, se prend dans son mouvement, ce qui le réconcilie un peu avec la perte inéluctable pressentie au départ : « [À] pas lents / je vais voir au-delà / des chemins pavés les limites / des pages ouvertes ».
Dans le ventre la nuit fait partie de ces recueils dont la subtilité et la finesse se révèlent encore mieux à la seconde lecture. C’est un livre qui exige du lecteur une certaine patience de même qu’un mûrissement à la suite duquel toute l’œuvre s’éclaire, et ne s’éteint plus.