Ce peintre magnifique, enfin, émerge de la demi-obscurité dans laquelle notre société abandonne bêtement ses géants de l’art. Grâce à René Viau, qui élargit la brèche ouverte par Chrystine Brouillet et le Musée du Québec, Jean Dallaire entre, en effet, puissamment dans notre imaginaire collectif. L’image est mêlée de douleur et d’étonnement, cependant, car la vie de Jean Dallaire échappe, en dépit du biographe et peut-être grâce à lui, aux décodages simplistes. Jean Dallaire se tue à force de boire, mais pourquoi ? Il a reçu, jeune encore, le soutien des dominicains d’Ottawa. Il a tôt vendu ses toiles à des prix décents, quoi qu’en dise une légende misérabiliste. Il a enseigné, imposé aux écoles par de puissants appuis politiques. L’ONF l’a accueilli. L’Europe lui a été accessible. Mécènes et galeries lui ont voulu du bien. Ce n’est donc pas la torture à jets continus. Ce fut pourtant le naufrage, la mort prématurée, alors qu’une œuvre fabuleuse ne cessait de se déployer. Finement, René Viau raconte, ne cachant rien, s’inclinant intelligemment devant le mystère.
L’oiseau, thème omniprésent, cherche son nid, comme, peut-être, Jean Dallaire lui-même. Le cyclope, récurrent, voit de son œil unique ce que peut lire le regard humain, puis s’en remet, faute d’une deuxième pupille, à l’intuition ouverte sur l’invisible. Le biographe explique les deux symboles. Jean Viau, qui avait utilisé la syncope et l’anticipation pour ouvrir son récit, revient bientôt, pour notre réconfort, à un accompagnement plus linéaire. À bien peu de choses près – quelques gaucheries stylistiques –, la lecture n’est que plaisir.